Avant son emprisonnement, le recours du gilet jaune Roland Veuillet contre le Procureur de Nîmes

Le Poing Publié le 12 juin 2020 à 16:58
C'est face à Roland Veuillet qu'Emmanuel Macron déclare le 27 mai 2016 à Lunel : “La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler”.

Roland Veuillet, syndicaliste Nîmois et gilet jaune emblématique du Gard, déjà sous le joug d’un contrôle judiciaire et d’un acharnement policier et judiciaire permanent, a été arrêté samedi 30 mai lors d’une manifestation de gilets jaunes. Il a été transféré à la maison d’arrêt de Nîmes, où il est en détention provisoire en attendant son procès. Lui est reproché de ne pas avoir respecté une interdiction de manifester dans le cadre de son contrôle judiciaire. Quelques semaines avant, Roland déposait devant le Conseil de la Magistrature un recours contre le controversé Procureur de la République de Nîmes Éric Maurel, l’accusant entre autre d’avoir désigné comme responsable d’une enquête le visant une commissaire contre laquelle il avait lui-même porté plainte…

Acharnement policier et judiciaire ?

Dès novembre 2018, Roland Veuillet s’investit aux côtés des gilets jaunes. Syndicaliste, il assure également avec ses camarades une forme de veille auprès des élèves impliqués dans le mouvement lycéen de l’hiver 2018. Avec pour soucis de protéger face à une répression extrêmement brutale. Dans ce cadre, il est interpellé le 14 décembre, autour de 8h30,  devant le lycée Albert Camus par la commissaire Géraldine Palpacuer et ses hommes. Placé en garde à vue pour « incitation de mineurs au  désordre  public », il quitte le commissariat autour de 20h, sans convocation au tribunal. D’après ses dires, déjà un capitaine de police lui avait adressé pendant cette garde à vue ses mots prophétiques : « Tu es  un  agitateur  professionnel, on  te  mettra  au  trou »

Un mois plus tard, le 12 janvier 2019, Nîmes accueille un acte régional des gilets jaunes. Des milliers de personnes manifestent, alors que le mouvement bas son plein. La police commence à tirer des gaz lacrymogènes, les gilets jaunes se révoltent : la journée sera ponctuée de violents affrontements, la répression est terrible et des dizaines de gilets seront blessés ! Autour de 15h devant les Arènes, Roland Veuillet est touché à la cuisse par une cartouche de LBD40.

Le 28 du même mois, il adresse une lettre au procureur de Nîmes, magistrat représentant du ministère public. Pour un dépôt de plainte pour violences policières, contre le tireur, ainsi que contre l’officier  de police  commandant l’opération et l’autorité  administrative  qui  supervisait  le  déploiement  des  forces  de  l’ordre. Dans le courrier, que  Le Poing a pu consulter, le militant évoque une situation pourtant calme à ce moment précis. L’usage du LBD ne trouvant un cadre légal que dans un contexte défensif, il plaide l’illégalité du tir. Et donne sa description complète, habillement inclus, puisque chaque tir se doit normalement d’être consigné dans un rapport écrit… « Les  suites  de  cette  lésion  se  sont  traduites  par  une  très  grande  difficulté  à  marcher  pendant  quinze  jours,  accompagnée  d’un  mal  constant  très  intense. », écrira-t-il à cette occasion, avant de dénoncer « une volonté de blesser sérieusement ».

Le 7 février, il adresse une seconde plainte au procureur, contre la commissaire Palpacuer cette fois-ci, pour arrestation arbitraire, et entrave à l’exercice des droits syndicaux, et qui porte sur la journée du 14 décembre 2018.

 En juin 2019, il comparait pour entrave à la circulation et participation à un attroupement après sommation de se disperser, des délits datant de décembre 2018. À la barre, le tribunal annonce le report de l’audience. Roland proteste vigoureusement, le slogan « police partout, justice nulle part » retentit dans la salle, où les soutiens de Roland sont nombreux. Il est interpellé dans le tribunal, et placé en garde à vue.

Le 5 novembre, un rassemblement des gilets jaunes a lieu devant la préfecture de Nîmes. Roland Veuillet est insulté et menacé par le sergent-chef de la police Yann Desbands.  « Je  l’ai immédiatement informé  que j’engageai  contre lui une plainte pénale,  et je  lui  ai  alors  demandé  de m’indiquer  son matricule. », écrit-il dans la plainte qu’il adresse au procureur dès le lendemain. «  Il  a  refusé.    J’ai  interpellé  son chef,  pour lui relater l’incident,    et  exiger  que le  policier  communique  son  matricule.  Cet  officier  de  Police  a  également  refusé  que   soit identifiable le matricule  du  policier  fautif ,    comme    la loi  l’exige.  Il est à noter  que  lui-même  ne  portait  aucun  matricule  sur  son  uniforme. »

Une enquête confiée à… la commissaire Palpacuer

Fin novembre 2019, Roland repasse en procès, pour participation à un rassemblement non autorisé remontant à juin. Lors de cette manifestation interdite, une dizaine de personnes avaient été interpellées, mais seul Roland a été placé en garde à vue. Le tribunal annonce une nouvelle fois un report, mais Roland refuse de quitter la salle, avant d’être sorti de force, sous les yeux de ses soutiens. Le procès est reporté à début avril 2020.

Dans la foulée, le sergent-chef Desbands porte plainte contre le gilet jaune, pour des faits de menace et d’outrages, portant sur deux journées, celle du 5 novembre et celle du procès de Roland Veuilet quelques semaines plus tard. Nous avons pu consulter la déposition de M.Desbands. Concernant le rassemblement du 5, le policier qualifie ces outrages de la manière suivante : « M. Veuillet a perdu son calme, et m’a brusquement accusé devant l’assistance des gilets jaunes de l’avoir violemment insulté ». Avant de tenter de se justifier sur son absence de matricule d’identification ce jour-là : « Plusieurs gilets jaunes me filmaient en cherchant à obtenir mon RIO, qui était bien présent mais illisible suite à l’usure du temps. » Les faits de menace reprochés dans la plainte à Roland se sont déroulés juste avant son audience. « J’ai enclenché une procédure contre vous à l’IGPN et vous ne savez pas ce qui vous attend », sont les mots que le sergent-chef semble reprocher à M. Veuillet !

Le policier Desbands fait sa déposition devant une brigadière, « conformément aux instructions reçues de Madame Palpacuer Géraldine, commissaire de police, chef de notre service », comme on peut le lire sur le procès-verbal… Soit la même commissaire contre laquelle Roland avait déposé une plainte, depuis classée sans suit, quelques mois avant…

Le Parquet de Nîmes charge la même commissaire Palpacuer d’une enquête judiciaire visant le gilet jaune. Quelques jours plus tard, il est perquisitionné par des policiers de la brigade anti criminalité. N’étant pas chez lui, les policiers se redirigent chez une amie, qui refuse de leur ouvrir. Ses soutiens gilets jaunes se rassemblent devant la préfecture de Nîmes.

 Début décembre 2019, Roland se rend au commissariat de Bernis pour porter plainte pour la fracture de sa porte pendant la perquisition. À la sortie du commissariat, la BAC de Nîmes l’attend. Roland est placé en garde à vue pour outrage, mais le motif officiel de son arrestation étant « flagrant délit », il fini par être libéré pour vice de procédure. De nouveau il porte plainte, contre le commissariat de Nîmes, pour arrestation illégale, et contre des policiers pour menaces lors de la garde à vue.

Dans sa lettre adressée au procureur de la République, Roland s’indigne de la différence de traitement entre sa plainte contre Desbands et celle du policier le visant, et affirme avoir été insulté pendant sa garde à vue par un policier ivre qui l’aurait notamment menacé de la sorte : « Si c’était dans un autre commissariat, ça se serait passé autrement », en brandissant son poing et son arme de service.

Le 10 décembre, Roland est interpellé au retour d’une manifestation par une dizaine de policiers. Il est placé en garde à vue, déféré au Parquet, présenté en comparution immédiate le 12 décembre pour outrage, intimidation sur une personne dépositaire de l’autorité publique, entrave à la circulation, trouble à l’ordre public, et port d’arme, en l’occurrence un tournevis. Lors du procès, Roland refuse de répondre aux questions du juge et lui tourne le dos en répétant qu’il est un prisonnier politique. La cour demande un huis clos. Dans la salle, une militante demande à Roland : – « On sort ? » – « Non, couchez-vous ! » répond l’accusé, en se couchant aussitôt. La salle est évacuée, Roland est expulsé et placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Nîmes en attendant son procès prévu pour le 9 janvier. Le syndicaliste et gilet jaune annonce qu’il se met immédiatement en grève de la soif et de la faim.

Le 26 décembre, après que le militant a fait appel de la décision de placement en détention provisoire,  se tient au palais de justice de Nîmes son audience de demande de remise en liberté. Sa libération est acceptée. En attendant son procès le 9 janvier, notamment pour outrage, il est placé sous contrôle judiciaire : il doit pointer trois fois par semaine à la gendarmerie de Nîmes et est interdit de manifester, de paraître hors du Gard et de porter une arme.

Son procès est repoussé à de multiples reprises, entre grève des avocats et crise sanitaire. Sans pour autant que son interdiction de manifester soit levée… Jusqu’à ce jour du 30 mai qui le ramènera en prison…

Un recours visant le procureur de Nîmes

Entre temps, durant le mois d’avril, en plein confinement, Roland Veuillet adresse un recours à François Molins, président de la formation plénière du Conseil de la Magistrature, une institution visant, entre autres, à veiller au respect de la déontologie par les magistrats. Le recours vise Éric Maurel, procureur de la République de Nîmes, donc supérieur hiérarchique des autres procureurs nîmois, et déjà très controversé.

«  Ce  Magistrat  du Parquet  a  confié à Madame   la  Commissaire  Géraldine  Palpacuer,  le  20 novembre 2020,   une  enquête judiciaire  à  mon encontre », écrit-il. « Or  ce  Procureur   avait  été  destinataire,  quelques temps auparavant,    d’une  plainte  pénale   que  j’avais  engagée  contre  cette  policière,   pour  des faits antisyndicaux  très  graves. […] Pire,  dans  son  réquisitoire,   il  a  suivi  à la  lettre,   les  recommandations  de  cette  dame. » Avant de pointer du doigt la partialité du procureur Maurel…

Si le recours est centré sur la désignation de Mme Palcacuer comme responsable de l’enquête le visant, Roland Veuillet appuie également sur la différence de traitement par M. Maurel de ces différentes affaires. Toutes les plaintes visant des policiers ont été classées sans suites…

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

À Montpellier, Attac et CGT ont retrouvé l’argent magique de l’Hôpital