La Région Occitanie verse une aide pour financer des produits homéopathiques liés à l’anthroposophie

Elian Barascud Publié le 7 novembre 2024 à 17:45 (mis à jour le 7 novembre 2024 à 23:45)
L'hôtel de Région Occitanie. (image d'illustration libre de droits/ Fabrice Bon, 2019)

La Région Occitanie vient d’accorder une aide de 100 000 euros à un laboratoire Gardois, Sevene, pour produire des produits homéopathiques de la marque Weleda. Une entreprise liée à la doctrine ésotérique de l’anthroposophie, qui inquiète la Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires vis-à-vis de sa “véritable entreprise d’entrisme au sein des institutions”

Le new-age est-il en train de gangréner les collectivités territoriales ? La semaine dernière, Le Poing révélait que le Département de l’Hérault faisait la promotion de l’agriculture biodynamique, liée à la doctrine ésotérique de l’anthroposophie, dans un de ses appels à projets à destination des collectivités territoriales. Cette fois-ci, c’est la Région Occitanie qui débourse 100 000 euros dans une aide au laboratoire Sevene, situé dans le Gard, pour la production de produits homéopathiques de l’entreprise Weleda. Problème : l’actionnaire principal de cette entreprise de cosmétiques et d’homéopathie basée en Suisse (413.8 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2023) est la société anthroposophique universelle, instance chargée de propager la doctrine ésotérique de l’occultiste autrichien Rudolph Steiner, notamment en matière de médecine.

La médecine anthroposophique : soigner le cancer avec du gui

Mouvement spirituel et ésotérique fondé au début du XXe siècle par l’occultiste autrichien Rudolph Steinner, l’anthroposophie a fait l’objet de nombreuses saisines auprès de la Mission interministérielle de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires (Miviludes), qui s’inquiète de sa “véritable entreprise d’entrisme au sein des institutions” . Ce courant ésotérique se décline en plusieurs aspects, notamment l’agriculture (avec la pratique de la biodynamie), des thèses raciales (les « blancs » et « aryens » seraient plus capables que les autres de s’élever spirituellement), la médecine (la maladie découle d’une destinée karmique, indissociable des erreurs et des pêchés commis par le patient dans l’une de ses vies antérieures), ou encore l’éducation, par le biais des écoles Rudolf-Steiner, souvent accusées d’endoctrinement, d’abus ou de racisme.

la Miviludes, dans son rapport de 2021, évoque des potentielles “dérives thérapeutiques” de la médecine anthroposophique : incitation à soigner le cancer avec des injections d’extrait de gui, remplacement de traitements médicaux par de l’homéopathie… Parmi les croyances des médecins anthroposophiques citées dans le rapport et compilées dans un article de la Tribune de Lyon sur la question, on retrouve des affirmations telles que : « le cœur n’est pas une pompe », « il n’y a pas de nerfs moteurs », « tricoter donne de bonnes dents », « il ne faut pas trop se laver pour ne pas user nos forces éthériques », « trop stimuler l’intelligence des enfants provoque le nanisme », « les tâches de rousseur sont le signe qu’on était des idiots dans notre vie antérieure », « les dents sont les métamorphoses de nos orteils et les mâchoires de nos jambes », etc.

Grégroire Perra, ancien anthroposophe aujourd’hui lanceur d’alerte sur la question, a aidé la Miviludes à construire son dossier, via des expériences personnelles et témoignages compilés sur son blog. « J’ai vu comment un médecin anthroposophe choisissait délibérément de ne pas traiter la fièvre et la laisser monter dangereusement, y compris chez les enfants. J’ai vu ainsi ce médecin rester sans réaction face à un enfant qui avait 41 de fièvre et faisait des convulsions devant lui. Il lui avait même rajouté une couverture, afin de favoriser la montée de la température », écrit-il. Il ajoute que souvent, les médecins anthroposophes s’appuient sur des connaissances scientifiques pour masquer leurs opinions.

Fin 2022, Rue89 Strasbourg rédigeait un article sur une formation en médecine anthroposophique dispensée à l’Université de Strasbourg, et épinglée par la Miviludes, qui écrivait : « L’Université de Strasbourg a intégré la médecine anthroposophique au sein de son offre de formation continue. Il est ainsi possible d’y suivre des cours de médecine anthroposophique, notamment appliquée à l’oncologie et à la rhumatologie. Le site de la faculté vante la médecine anthroposophique au motif qu’elle “propose un élargissement de la médecine universitaire” sur laquelle elle se fonde, en intégrant dans sa démarche les niveaux biologiques, psychologiques et spirituels de l’homme. »

Le rapport de la Miviludes est contesté par le président de l’Anpaps (Association nationale pour la promotion et l’avenir de la pédagogie Steiner-Waldorf), Nicolas Tavernier, interrogé dans la Tribune de Lyon : « le rapport de la Miviludes ne s’appuie que sur le témoignage de monsieur Perra alimenté par trois ou quatre témoignages pourris et anonymes ». Nicolas Tavernier est le fils de Janine Tavernier, présidente de 1992 à 2001 de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi), engagée auprès des victimes de diverses sectes. « Je sais ce qui est une secte et ce qui n’en est pas une. Les sectes, les vraies, c’est la Scientologie, le Mandarom », précisait-t-il chez nos confrères. A noter que l’anthroposophie fait l’objet d’un nombre de saisines similaire à la scientologie auprès de la Miviludes.

Sevene, des liens avec un autre mouvement ésotérique

L’entreprise Sevene Pharma, qui va produire à partir de janvier 2025 des produits homéopathiques de Weleda dans le Gard, a déjà été sous le feu des projecteurs pour ses liens avec un mouvement spirituel. En 2012 et 1018, le blog Agriculture et Environnement publiait des enquêtes sur les accointances de l’entreprise avec Invitation à la Vie (IVI), une association fondée en 1993 par Yvonne Trubert, qui se présentait comme voyante. Elle aurait hérité d’un « don de guérison », lui permettant de soigner des maladies (cancer, SIDA, Parkinson, sclérose en plaques…) par la prière qu’elle accompagne de séances d’harmonisation et de vibrations, via des chants.

En 2003, le rapport de la Miviludes mentionnait, dans les affaires judiciaires liées à des atteintes à la santé que “deux parents, exerçant à l’époque des responsabilités au sein du mouvement Invitation à la vie intense (IVI) font l’objet d’une information judiciaire pour défaut de soins sur mineur de 15 ans par ascendant. L’enfant, atteint d’une leucémie, avait été envoyé en Allemagne pour y subir un traitement à base de plantes. Par la suite, son état de santé avait empiré jusqu’à devenir critique.” Si le mouvement ne fait plus aujourd’hui l’objet de signalements, il reste néanmoins surveillé.

Quant aux liens entre Sevene Pharma et IVI, Agriculture et Environnement révélait dès 2012 que plusieurs actionnaires de l’entreprise étaient des cadres du mouvement Invitation à la Vie.

La région Occitanisme en proie aux croyances ésotériques ?

Ce n’est pas la première fois que Le Poing questionne les choix politiques de la Région Occitanie sur la thématique des croyances ésotériques ou des alternatives en matière de santé : en mai 2024, nous révélions que la Région Occitanie avait fait intervenir une “coach en hypnose Ericksonnienne et constellations familiales”, pour répondre au mal-être de ses agents qui dénonçaient un manque de moyens. Une stratégie pour individualiser les problèmes et “contourner les syndicats et le dialogue social” selon ces derniers.

Autre affaire : début septembre, nous révélions que la Région, via son dispositif de la “carte jeune”, faisait la promotion auprès de lycéens d’alternatives en santé comme la kinésiologie ou la réflexologie, des pratiques controversées et surveillée par la Miviludes dans le cas de la kinésiologie.

Pourquoi la Région finance-t-elle indirectement une multinationale de L’ésotérisme malgré les alertes de la Miviludes ? Contactée, la Région Occitanie fait mine de ne pas voir le problème : “La subvention régionale accordée à l’entreprise SEVENE SAS, installée en zone rurale du Gard, a été attribuée le 18 octobre dernier par les élus régionaux dans le cadre de la politique régionale de soutien à l’innovation et au développement économique des entreprises du territoire, via un Contrat Entreprise d’Avenir. Ce dispositif à destination des entreprises jusqu’à 500 salariés, vise à soutenir les projets permettant d’engager l’entreprise dans une transformation environnementale et sociale, digitale / technologique, Internationale, engendrant un impact territorial, permettant une souveraineté économique. En l’espèce, la demande de l’entreprise SEVENE, basée à Saint Hyppolite du Fort dans le Gard – 6ème département le plus pauvre de France – a été examinée sur ces critères strictement économiques et industriels et est conforme tant à la réglementation régionale qu’à la législation nationale. Le projet de l’entreprise SEVENE répond aux attentes régionales : création de 15 emplois (doublement de l’effectif actuel)- réduction de la pénibilité du travail et partage de la valeur (primes)- passage d’une production artisanale à une production semi industrielle comprenant des process pilotés numériquement- exportation vers les Etats-Unis d’une large part de sa production.

La Région a donc autorisé une subvention d’investissement de 100 713 € sur un montant éligible de 457 789,80€, afin de soutenir l’investissement de SEVENE dans la production de produits pharmaceutiques à base de plantes médicinales, spécifiquement l’Arnica et le Calendula. Comme pour l’ensemble de ses aides aux entreprises, la Région sera particulièrement attentive à ce que l’usage de cette subvention réponde strictement aux objectifs que SEVENE a fixé dans son dossier de candidature, tant en termes de production, de respect des normes environnementales et de création d’emplois sur le territoire.”

Bref, aucune mention de l’anthroposophie. Circulez, y a rien à voir…

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