Le Poing, dix ans de lutte pour sa survie. Gloires et misères de la presse indé

Jules Panetier Publié le 9 avril 2024 à 12:25
Distribution du Poing lors de la manifestation du 1er mai 2023 à Montpellier, en plein mouvement social contre la réforme des retraites. Photo de Mathieu Le Coz/Hans Lucas

Article initialement publié dans le numéro 39 du Poing spécial 10 ans, imprimé en janvier 2024.

En dix ans d’existence, Le Poing a connu bien des évolutions. D’un simple projet étudiant, le canard est devenu l’un des porte-voix des militants anticapitalistes de Montpellier, avant de se concentrer sur son ambition journalistique. On vous retrace le parcours d’un journal certes indépendant, mais dont la précarité le rend toujours fragile.

Né à la faculté des sciences politiques de Montpellier, l’idée originelle du Poing était de « distiller par petites doses des idées de gauche dans une faculté généralement étiquetée “à droite », pour reprendre un article de Midi Libre de fin 2013. Le média se fait rapidement connaître par des distributions à prix libre, des conférences, un ton tranché, des sujets variés et un horoscope scandaleux. Mais les étudiants qui tiennent le projet finissent par voguer vers d’autres cieux, et le canard cesse de jacter quelques mois en 2016. Quand il reparaît, c’est avec un couteau entre les dents, la lutte contre la loi travail ayant radicalisé sa ligne éditoriale.

De JLM à VLM*

Du « journal sarcastique qui lutte contre la morosité ambiante imposée par les grands médias », Le Poing devient le « média des luttes par celles et ceux qui les font ». L’AFP nous dépeint alors comme « le » média des anarchistes de Montpellier et les policiers considèrent nos articles comme des communiqués officiels du « black bloc ». Nous relayons ainsi les débats et les informations d’intérêt général qui circulent dans les mouvements sociaux. Une proximité à laquelle les autres médias locaux, trop occupés à recopier les communiqués préfectoraux, ne peuvent pas prétendre (nous sommes par exemple les premiers à parler du commando de la fac de droit en 2018).

Notre méfiance envers les autorités nous permet d’atteindre des records d’audience auprès des gilets jaunes. Nos images de violences policières et nos comptes rendus de procès se partagent par milliers sur les réseaux sociaux. Les médias commencent alors à s’intéresser à notre travail (nous contribuons ainsi à faire retirer le fusil à pompe du dispositif policier de maintien de l’ordre à la suite d’une reprise de notre info par Mediapart). Le Poing fourre son nez dans toutes les luttes, au risque parfois de courir comme des canards sans tête. Après les gilets jaunes, et malgré une rédaction géographiquement éclatée, le projet tient toujours grâce à un dévouement quotidien. Mais des questions se posent : comment tenir et surtout, pourquoi ?

Se professionnaliser ou disparaître

Nous sommes fiers de faire du journalisme « maison », quand d’autres médias (et des très bons) font des revues de presse en y ajoutant leurs opinions, mais nous sentons que nous stagnons. Le fait que Facebook réduise brutalement la portée de nos publications n’arrange rien. Nous tentons une fusion avec La Mule du Pape, autre média indépendant de Montpellier, depuis disparu, mais l’affaire capote. Se dissoudre devient une option, aussitôt dissipée par la nécessité de couvrir le mouvement antipass. Nous percevons qu’il faut franchir un cap ou disparaître. Le bénévolat sacrificiel n’est pas un horizon, et la précarité nuit à la qualité de l’information. Le journalisme n’est pas un passe-temps, mais un métier. Alors nous tentons la professionnalisation.

En 2023, nous récoltons un peu plus de dix mille euros grâce à un mécène et une cagnotte, de quoi rémunérer à mi-temps l’un des nôtres, titulaire d’une carte de presse. Nous relançons les abonnements avec ce slogan : « Le Poing, le journal qui tape juste ». D’un point de vue éditorial, c’est plutôt réussi : depuis septembre, nous publions moins d’opinions et plus d’informations impactantes sur notre site, et nous réservons les articles moins collés à l’actualité pour le papier. La presse nous cite régulièrement, notamment pour notre travail sur l’extrême-droite (nous avons révélé la fondation, par une ancienne cadre identitaire, d’une association de parents d’élèves à Aniane) et sur les dérives sectaires (nous avons contraint la Ville de Montpellier à cesser la promotion d’une association douteuse).

Au niveau commercial, c’est mitigé : nous comptons une centaine d’abonnés, sur les trois cents escomptés d’ici 2026, nous serons peut-être à sec avant l’été, alors que nous espérons des subventions en novembre.

Dix ans de frustration

Des centaines de petits médias indépendants existent en France, et comme Le Poing, la plupart se trouvent dans une situation périlleuse. Cette myriade de petits canards est un problème : les gens ne peuvent pas s’abonner à trop de journaux, et le modèle de la mendicité, avec des cagnottes lancées tous les quatre matins, n’est pas viable. Nous sommes proches du Syndicat de la presse pas pareille (SPPL) et nous avons participé aux Etats généraux de la presse indépendante (notamment lancé par Mediapart) pour « libérer l’information des pouvoirs politiques, des médias de la haine, des milliardaires ». Mais nous restons focalisés sur notre objectif : obtenir le numéro CPPAP (Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse) pour devenir éligible aux subventions. La presse dominante, sous perfusion des subventions et des milliardaires, est quant à elle en faillite morale : racisme, sexisme, etc.

Faire du journalisme indépendant, c’est expérimenter la frustration. Avec deux plein temps correctement rémunérés, nous pourrions réellement casser le paysage médiatique montpelliérain et étendre notre zone géographique. Nous saurions quelles enquêtes mener. Mais le temps n’attend pas et nous savons qu’au fond, la presse n’ira pas mieux tant que la société elle-même n’ira pas mieux. Alors pour nous aider, luttez, manifestez, résistez, « abattez la citadelle », et donnez-nous un peu d’argent !

PS : si vous connaissez un riche mécène qui voudrait faire une B.A. vous savez vers qui l’envoyer ! (C’est défiscalisé à 100 %.)

*Cette expression – de JLM (Jean-Luc Mélenchon) à VLM (prison de Villeneuve-lès-Maguelone) – fait référence à l’évolution de la ligne politique du Poing et de l’auteur de ses lignes : d’une ligne réformiste radicale (qui s’imaginait révolutionnaire), avant de tourner insurrectionnaliste, jusqu’à faire un petit tour par la case prison.

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


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