Montpellier : Les moyens baissent pour la réduction des risques malgré une consommation de drogues en hausse

Elian Barascud Publié le 27 décembre 2025 à 20:03
Le Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) La Boutik reçoit des femmes usagères de drogues, souvent en situation précaire pour les accompagner et leur fournir du matériel stérile pour leur consommation. ("Le Poing")

A Montpellier, les 13 salarié·es du Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) La Boutik reçoivent des femmes usagères de drogues*, souvent en situation précaire pour les accompagner et leur fournir du matériel stérile pour leur consommation. Alors qu’une récente pétition demande plus de moyens pour qu’ils puissent intervenir dans le quartier de Figuerolles, ceux-ci font part de baisses de dotations de l’ARS et d’un climat de prohibition qui les empêche d’effectuer correctement leur mission

« Support, don’t punish » (soutenez, ne punissez pas). Telle est le nom d’une campagne internationale pour la décriminalisation de l’usage des produits stupéfiants, qui orne la vitrine de la Boutik, un Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, situé dans le quartier Gambetta, à Montpellier. Les treize salariés du lieu accueillent des femmes usagères de drogue, souvent dans une extrême précarité, et les aident à réduire les risques liés à leurs consommations en prodiguant conseils et matériel stérile afin d’éviter les éventuelles transmissions de maladies provoquées par le partage des seringues ou des pipes, sans pour autant les forcer à l’abstinence ou à l’arrêt total.

Un tout-répressif délétère

« Tous les pays voisins s’engagent vers la dépénalisation de l’usage des stupéfiants, avec des résultats probants en termes de santé publique, avec des diminutions drastiques des transmissions de VIH par exemple… » constate Simon, éducateur au sein de la structure. Le Portugal est souvent cité en exemple en la matière : depuis 2001, le pays, qui mène une politique qui mêle dépénalisation et réduction des risques, a vu ses taux de diagnostic de VIH liés à des injections de drogues baisser de 99 % en vingt ans.

« Mais nous, on prend la voie inverse, vers toujours plus de répression, alors que les gens consomment de plus en plus », déplore Simon. Selon lui, la prohibition de l’usage des stupéfiants en France nuit à l’activité de réduction des risques pour les usagers. « L’immense majorité de nos financements et de notre matériel vient de l’Agence Régionale de Santé, y compris des pipes que les gens utilisent pour fumer du crack, que l’on distribue, afin qu’ils évitent d’en fabriquer avec de l’aluminium, toxique, et qu’ils les partagent, avec des risques de transmissions d’infection. Quand les forces de l’ordre contrôlent nos usagères dans la rue, il n’est pas rare qu’ils détruisent ces pipes fournies par l’ARS. Un corps de l’État qui détruit un truc financé par un autre corps de l’État, c’est absurde… En plus, on assiste à une hausse de la demande, on est en pleine ère du crack à Montpellier, mais les flics nous voient comme de simples ramasseurs de seringues », souffle-t-il. Rien qu’entre avril et septembre 2025, la Boutik a distribué 11 000 pipes en verre.

Darmanin et Retailleau : la guerre à la drogue


Si localement, la situation avec la police tend à l’amélioration via des groupes de dialogue, le durcissement de la politique répressive au niveau national inquiète les acteurs de la réduction des risques. « Darmanin et Retailleau sont dans une logique de guerre à la drogue et de tout ce qui va avec », commente Fred, chef de service à la Boutik. Par exemple, une proposition de loi visant à renforcer la pénalisation de l’organisation des free parties déposée en mars 2025 prévoit notamment de considérer les acteurs de la réduction des risques qui viennent y faire de la prévention comme organisateurs de l’évènement, et donc de les sanctionner comme tel (six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende selon la proposition de loi.

« Cette guerre à la drogue entretient un climat de peur, de clandestinité, de fuite des institutions, qui nuit à la relation de confiance qu’on essaie de tisser avec le public », résume Audrey Nehlig, directrice de l’association Réduire les risques, qui tient la Boutik.

Une « perte de sens » au travail


Le stigmate qui touche les consommateurs de drogues atteint aussi les « travailleurs-pairs » de ces structures, recrutés pour leur expertise en tant qu’usager ou ex-usager de substances psychoactives. « Leur expérience est criminalisée. Ils sont dénigrés, payés moins bien que les autres, car ils n’ont pas de diplômes, alors que leur expertise est précieuse et que l’auto-support entre usagers est à la base de la pratique de la réduction des risques », commente Audrey Nehlig.

Et comme tous les pans du secteur social, la réduction des risques subit actuellement des coupes budgétaires. Fred précise : « On a de plus en plus de consommateurs, mais l’ARS baisse ses crédits non reconductibles, qui nous permettent de boucler les années. Donc on a du matériel en moins. » Simon rajoute : « On a de moins en moins de temps pour faire de l’accompagnement, on devient de plus en plus de simples distributeurs de matériel. Et encore, on dit aux gens de ne pas fumer avec des pipes fait maison, mais on est obligé de rationner les distributions car on en a de moins en moins, c’est l’hypocrisie totale. » Récemment, une pétition lancée par des habitants du quartier Figuerolles, connu pour être un lieu de trafic et de consommation de drogues, demandait justement plus de moyens pour le CARUUD afin qu’il y puisse intervenir.

A ces problématiques s’ajoute une « psychiatrisation croissante » du public, comme le décrit Simon : « La psychiatrie en France est dans un sale état, on se retrouve avec des gens qui ont des problèmes psy et on est absolument pas formés à cela. »Conséquences : arrêts maladies, turn-over énorme, difficultés de recrutement… « Il y a une perte de sens généralisée dans les métiers du social », souffle Simon. En ce sens, le mouvement social qui a démarré avec les salariés de la prévention spécialisée de l’Hérault, partenaires du CARUUD, au printemps dernier, a résonné au sein de l’équipe. « Une grande partie d’entre nous ont participé au mouvement, ces attaques sur le secteur, ça nous parle », affirme Fred. 

Et du côté de l’avenir, les perspectives ne sont pas réjouissantes. « Mais la crise des opioïdes qui touche les États-Unis arrive en France, on voit de plus en plus de Fentanyl (opioïde aux effets analgésiques 50 fois plus puissants que l’héroïne, ndlr) dans les produits qu’on analyse, alors on se dit que l’État va sans doute se ré intéresser à nous », ose croire Simon…

* Art. 222-37 du code pénal : Le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants sont punis de dix ans d’emprisonnement et de 7 500 000 euros d’amende. S’agissant de l’usage, qu’il s’agisse de cannabis, d’ecstasy, de cocaïne ou toute autre substance psychoactive illicite, l’usage est un délit puni d’une peine maximale de 1 an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende (article L3421-14 du code de santé publique).
Depuis 2019, en vertu de l’article L.3421-1 du code de la santé publique, l’usage illicite de stupéfiants peut donner lieu à une amende forfaitaire. Ainsi, une personne interpelée en train de consommer des stupéfiants ou en possession de petites quantités, peut recevoir une amende forfaitaire de 200 euros délivrée immédiatement par les forces de l’ordre. Le paiement de cette amende met fin à toute poursuite judiciaire.

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