Montpellier : sept ans après le commando de la fac de droit, l’ancien doyen réécrit l’histoire

Elian Barascud Publié le 4 novembre 2025 à 16:47 (mis à jour le 4 novembre 2025 à 17:24)
Philippe Petel, alors doyen de la fac de droit à gauche, et Jean-Luc Coronel de Boissezon à droite, quelques minutes avant l'attaque du commando cagoulé le 22mars 2018 à la fac de droit de Montpellier.

Le 22 mars 2018, un commando cagoulé attaquait des étudiants qui occupaient pacifiquement un amphithéâtre de la fac de droit de Montpellier pour s’opposer à la sélection à l’université. Sept ans plus tard, Philippe Pétel, doyen de la fac au moment des faits et condamné dans l’affaire, tente de réécrire l’histoire dans un livre paru le 21 octobre

“Tartuffes à tous les étages”. C’est le nom du chapitre rédigé par Philippe Pétel, ancien doyen de la faculté de droit de Montpellier, dans un livre collectif, “Mélanges en l’honneur du Professeur Denis Mazeaud”, paru le 21 octobre dernier. L’universitaire y revient sur l’affaire du commando de la fac de droit.

Le 22 mars 2018, un groupe d’individus a violemment attaqué des étudiants qui occupaient pacifiquement un amphithéâtre de la fac de droit de Montpellier pour s’opposer à la sélection à l’université. Philippe Pétel, doyen à l’époque, avait été condamné dans cette affaire à 18 mois de prison avec sursis et deux ans d’interdiction d’exercer une fonction publique pour sa complicité dans l’entrée du commando au sein de l’amphithéâtre occupé. Il avait déjà été interdit d’exercer par décision administrative relevant de son ministère pour une durée de cinq ans.

Inversion victimaire

Et si le condamné était en réalité… une victime ? Le lendemain-même de l’agression, Philippe Pétel se pavanait déjà devant les micros de France 3 : “Ils [les membres du commando] ont voulu se défendre et je ne peux pas les en blâmer. […] Je les approuve totalement.” Sept ans plus tard, dans son texte, il reproduit cette logique d’inversion accusatoire visant à faire passer les étudiants mobilisés pour les fautifs : “Le projet d’occupation avait tourné court. Par une réaction collective, analogue à celle qu’engendre le système immunitaire du corps humain confronté à une infection virale, la Faculté avait vigoureusement rejeté ses agresseurs.”

Le tout, avant de finalement minimiser les faits : “L’affaire relevait plus de la farce que de la tragédie. Elle ne dépassait pas le stade du folklore étudiant. Car l’antagonisme entre agitateurs venus de la faculté de lettres et juristes ou médecins défendant leur pré carré est une tradition ancienne et constante à Montpellier. […] En d’autres temps, on aurait ri de ce spectacle guignolesque donné sur le thème de l’arroseur arrosé.”

Mais malheureusement pour Philippe Pétel, l’affaire fait vite la Une des journaux : là encore, cela serait la faute des “activistes de l’ultragauche, champions de l’agit-prop” qui savent “manipuler l’opinion à partir de quelques bobards.” Des “bobards”, l’ancien doyen de la Faculté de Droit de Montpellier en aura justement raconté dans cette affaire : face aux enquêteurs, Pétel prétendra avoir confondu le groupe armé de bout de palettes avec « une avant-garde de la police » comme « le GIGN » et démentira avoir applaudi l’expulsion des étudiants qui occupaient l’amphithéâtre, malgré des vidéos accablantes.

Concernant les procédures disciplinaires dont il a fait l’objet, le professeur du droit des sociétés les décrit comme “motivées politiquement” . Il évoque une commission délocalisée dans une “université parisienne dont la couleur politique permettait de s’assurer que l’affaire ne serait pas prise à la légère”. Et Pétel de se comparer à une figure de l’histoire de France en effet associée à une “couleur politique” assez identifiée : “En somme, cette procédure disciplinaire de première instance évoquait plus les méthodes de l’évêque Cauchon au procès de Jeanne d’Arc que les canons du procès équitable selon la Convention Européenne des droits de l’Homme.”

“Conspiration Fasciste”

Pour Philippe Pétel, c’est une certitude : le commando du 22 mars n’est pas d’extrême droite. Selon lui, il s’agit là d’une “fable de la dangereuse conspiration fasciste”. Il en tient pour preuve que Martial Roudier, membre du groupuscule identitaire raciste et violent la Ligue du Midi, initialement mis en cause, a été relaxé lors du procès. Mais les faits sont têtus : selon les enquêteurs, cinq personnes renvoyées en correctionnel dans l’affaire (sur sept) ont assisté à une réunion anti-PMA de la Manif pour tous au château de Flaugergues quelques heures avant de taper du poing à la faculté de droit pour casser du gauchiste.

Tous ont été informés du mouvement étudiant à la fac de droit par Patricia Margand, ancienne directrice de campagne de Myriam Fauch, candidate FN pour les législatives de 2017 à Sète et compagne du professeur d’histoire du droit Jean-Luc Coronel de Boissezon, lui aussi membre du commando et proche de la Ligue du Midi.

Entre la première instance et son procès en appel, Coronel de Boisszeon, (entre temps recyclé en prof à l’école de Marion Maréchal puis en cadre de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour) s’était affiché avec toute la crème de l’extrême droite identitaire lors d’un “forum de la dissidence”. Le couple a finalement été condamné en appel en février 2023 dans l’affaire du commando : Jean-Luc Coronel de Boissezon a écopé d’un an de prison assorti d’un sursis probatoire de deux ans, et Patricia Margand a été condamnée à 6 mois avec sursis. La “fable de la conspiration fasciste” est décidément tenace…

Toujours des zones d’ombres

Entre décembre 2023 et janvier 2024, trois plaintes ont été déposées auprès du procureur par d’ex parties civiles du dossier afin d’ouvrir une enquête préliminaire à la suite d’un fait nouveau, et la Ligue des Droits de l’Homme a demandé la jonction de ces trois dossiers. Un fait nouveau venant des déclarations de Martial Roudier, membre du groupuscule raciste et violent la Ligue du Midi, inculpé dans l’affaire puis relaxé. Lors du procès en appel, il avait déclaré “Il y a forcément des étudiants, les gens derrière moi n’ont pas la stature.”

Des propos corroborés avec d’autres, qui laisseraient entrevoir que le groupe jugé au tribunal de Montpellier ne représentait pas l’intégralité du commando du 22 mars. Alain Iberti, agissant au nom de Philippe Augé, président de l’Université de Montpellier, évoquait “un groupe composé d’une dizaine d’individus au visage cagoulé”, comme l’a rappelé le président du tribunal correctionnel de Montpellier en juillet 2021. Lequel mentionnait alors que ” les enquêteurs n’excluaient pas que tous les membres du commando agresseur n’aient pas été identifiés comme des personnes déjà présentes sur place, soit des chargés de TD ou des étudiants affiliés à la Corpo de droit, comme l’indique Philippe Pétel dans un interview télévisée”.

Les prévenus ou proches du dossier évoquent eux-mêmes “des étudiants patriotes” venus déloger les manifestants, ou de “6 ou 7 personnes” (dixit Coronel de Boissezon). Ce qui conduit la Ligue des droits de l’Homme de l’Hérault à penser qu’il manque au moins cinq personnes à identifier pour que justice soit rendue. Enfin, malgré une demande de l’instruction, le préfet de l’époque n’avait pas livré à la juge en charge du dossier le compte rendu des renseignements territoriaux, laissant cette partie aussi dans l’ombre.

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