Rencontre avec Isabelle Attard, ancienne députée écolo devenue anarchiste

Le Poing Publié le 17 mai 2022 à 13:17 (mis à jour le 6 juin 2022 à 11:37)
Isabelle Attard tenant un numéro du Poing après son intervention à la librairie "La Mauvaise Réputation", sans que nous lui ayons demandé de faire notre publicité.

Invitée par le groupe de l’Union Communiste Libertaire Montpellier, l’ancienne députée EELV de 2012 à 2017 est venue présenter son livre « comment je suis devenue anarchiste » à la librairie la mauvaise réputation le samedi 14 mai devant une quarantaine de personnes. Entre dégoût de l’assemblée et espoir dans les luttes sociales, elle livre un récit de son parcours sans concessions, de témoin de la corruption du pouvoir à sa prise de conscience autogestionnaire.

C’est une trajectoire peu commune, orientée par une honnêteté et un courage politique rare. Isabelle Attard né dans une famille avec un père militant écologiste, et acquiert dans l’adolescence une certaine conscience politique. Cette directrice de musée part ensuite s’installer en Suède, puis revient en France des années plus tard. Elle arrive donc dans la ville de Bayeux, en Normandie. Rapidement, le népotisme des élus et la gestion de la ville la choque, et l’idée de devenir maire pour changer les choses lui vient à l’esprit. N’étant que peu connue dans le milieu politique , elle décide dans un premier temps de se présenter aux élections législatives de 2012 sous la bannière écologiste, sans imaginer pour autant les gagner. Mais à sa grande surprise, la voilà élue. C’est là que débute « l’accélérateur de particule qui a amorcé ma transformation », comme elle le résume elle-même.

« On ne peut pas changer les choses de l’intérieur »

Arrivée au parlement avec une authentique volonté d’œuvrer pour l’écologie, elle déchante en quelques mois seulement : « C’était au-delà de la déception. On était censé être des alliés de Hollande, on voulait verdir sa politique. Mais ce n’est pas de l’intérieur qu’on peut changer les choses, l’institution va vous broyer, et vous imposer ses propres règles », décrit-elle devant le public de la librairie. « C’est un immense théâtre où tout est joué d’avance. Et si vous arrivez à faire passer un amendement qui va réellement vers le progrès social, quelqu’un fera passer un autre amendement qui l’annule ». De la présence des lobbys qui écrivent des amendements clés en main aux députés à grand renfort de cadeaux aux comportements sexistes dans l’hémicycle, Isabelle Attard se rend vite compte que si les députés étaient censés être exemplaires, il n’en était rien en réalité.
C’est d’ailleurs elle qui révélera l’affaire Denis Baupin, député écologiste accusé d’agression sexuelle sur quatre femmes, à Mediapart. Un déclic supplémentaire dans sa phase de prise de conscience politique : « Je me suis rendu compte que c’est un des engagements que j’avais passé sous silence jusqu’alors ».

Mais surtout, elle fait l’expérience de la triste réalité politicienne, et comprend alors une phrase de Louise Michel : le pouvoir corrompt.
« En quelques mois, vous voyez les gens autour de vous changer. Je me suis vue changer. A la base, on arrive pétri d’intérêt général, et puis au bout de trois mois on se met à faire des choix dictés par les prochaines échéances électorales et à faire du clientélisme. J’ai vu une députée de l’Isère, ancienne prof, au bout de six mois de députation elle parlait avec dédain à la serveuse du café proche du parlement. Les gens intègrent que les députés sont perçus différemment du reste de la population et qu’il y a des privilèges à l’assemblée. Des tickets de trains gratuits, des voyages en avion gratuit, pas de compte à rendre, pas de ticket de caisse à garder pour les remboursements, du coup forcément on se dit que c’est bien d’être députée. »

Durant son mandat, elle quitte Europe Écologie les Verts pour aller vers Nouvelle Donne, en espérant y trouver plus de démocratie horizontale, avant de les quitter également. « Je me suis fourvoyée », admet-elle aujourd’hui. Elle se retrouve donc députée sans parti, et isolée à l’assemblée. De son bilan de représentante, elle retient surtout son action sur le terrain. « Je pourrai vous raconter la version députée qui fait plein de choses comme on raconte aux administrés, mais ça serait malhonnête. Par contre sur le terrain, j’ai fait l’expérience du débat horizontal, d’écriture de modification de projets de lois avec des citoyens ». Cette expérience du débat collectif et de l’imposition de rapport de force par la base la motivera pour la suite. « Ce qui me motivait, c’était l’auto-organisation, la solidarité, le rapport de force dans la rue et la défense des femmes ».
Elle se représente néanmoins en 2017 avec l’idée « de foutre la merde », mais n’a pas été réélue.

En lutte permanente contre toutes les dominations

C’est de cette période d’inactivité post-élections que naîtra une profonde introspection. Isabelle Attard commence à lire les écrits de Malatesta, Proudhon, Louise Michel et Murray Bookchin, qui lie écologie et anarchisme, et se découvre anarchiste. « Je l’ai découvert à 48 ans, et je ne le regretterai jamais. Ce mot est beau, mais il est dévoyé à dessein par des politiques, qui le mélange avec l’anomie. L’anarchie, c’est l’absence de pouvoir, pas de règles ». Si elle n’attend pas « le grand soir », elle reste en lutte permanente contre toutes les formes de domination. L’idée lui vient ensuite d’écrire son livre pour témoigner de son parcours. « Ce livre est un livre pour ceux qui n’y connaissent rien à l’anarchisme, c’est un témoignage car on est de plus en plus nombreux à ne plus se reconnaître dans les institutions, il faut donc réhabiliter le mot anarchie ».

La publication de son ouvrage lui a fait perdre le peu d’amis qui lui restaient dans le monde politique et lui a fait éprouver des difficultés à retrouver du travail, même si le parti pirate et François Ruffin l’ont contacté pour se présenter sur des listes avec eux, chose qu’elle a évidemment refusé.
Cependant, l’ancienne députée a fait de nouvelles rencontres, et a monté un groupe anarchiste en centre-Bretagne, où elle réside désormais.

Les législatives, cette foire d’empoigne


En cette période d’élections législatives, l’ancienne écologiste devenue anarchiste observe la campagne de loin :
« J’avais déjà essayé de mettre en place une sorte de NUPES à l’assemblée en 2015, une alliance rouge-rose-verte, mais je n’y crois plus du tout. Les législatives, c’est la seule élection qui finance directement les partis. Vos voix valent exactement 1,64 euros chacune, quand un parti présente plus de 50 candidats qui font plus de 1 % sur un certains nombre de départements. Les voix obtenues sont converties en somme, et cette somme est attribuée aux partis tous les ans pendant cinq ans. Ce qui explique la foire d’empoigne en ce moment où chacun essaie de gratter des circonscriptions pour rembourser ses frais de campagne », commente-elle.

Face au-non changement annoncé de ce « grand théâtre », Isabelle Attard place aujourd’hui ses espoirs dans les luttes sociales et les collectifs en lutte. « Il ne faut pas désespérer, c’est par les luttes sociales qu’on obtient des choses », conclura-t-elle en citant l’exemple des Chiapas au Mexique ou du Rojava, territoires où sont mis en place des formes concrètes d’auto-gestion.
Une intervention vivifiante, qui se terminera par des échanges avec la salle.

Isabelle Attard, « comment je suis devenue anarchiste », aux édition du Seuil. 12 euros. Disponible à la librairie la Mauvaise Réputation, 20 rue Terral à Montpellier, ouverte le samedi entre 15h et 19h.

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