Révolte agricole : le boom de la Coordination Rurale dans l’Hérault

Le Poing Publié le 18 octobre 2024 à 04:16
Assemblée générale de la Coordination Rurale de l'Hérault, en mai 2024. Photo CR 34

La Coordination Rurale (CR), sulfureux syndicat agricole connu pour ses actions coup de poing dans le sud-ouest de la France, a été sous le feu des projecteurs pendant l’intense mouvement des agriculteurs de l’hiver dernier. Six mois plus tard, la section héraultaise a largement bénéficié de la colère agricole et a triplé ses effectifs. Photographie d’un syndicat réputé bien à droite qui a le vent en poupe.

Article initialement paru dans le journal papier numéro 42 du Poing, sur le thème “LGBT, services publics, vote RN… les campagnes montent au front”, publié en juillet 2024 et toujours disponible sur notre boutique en ligne.

« J’ai rencontré la CR pendant la manif du 26 janvier sur Montpellier », nous confie Benjamin Bejada, céréalier devenu depuis vice-président de la section héraultaise. « À force de faire des actions je suis entré. » Arnaud Poitrine, encarté au syndicat depuis 2017, à la tête d’une exploitation de 20 hectares à Cabrières, a été à la pointe du groupe d’action aux mois de janvier et février. « Le bureau était vieillissant, le syndicat en veille. On a aussi fait des commandes de gazole ouvertes, contrairement à la FNSEA [NDLR : principal syndicat agricole, épinglé pour ses liens avec l’industrie agro-alimentaire, sa présence co-gestionnaire dans toutes les institutions agricoles, et sa proximité avec le pouvoir] qui réserve aux adhérent.es. On aide des agriculteurs.trices en difficulté, certains rejoignent. », témoigne le vigneron. Lors du mouvement des agriculteurs.trices, on avait interrogé Mathieu, aussi viticulteur, venu manifester avec son père ce même 26 janvier.

Les deux se montraient très remontés, avec près de 70h hebdomadaires de travail pour moins d’un SMIC. Critique envers des syndicats accusés de rouler pour les gros, le binôme prônait l’union avec les salarié.es de tous secteurs. « On est pas toujours d’accord, mais là j’ai l’impression d’avoir trouvé un syndicat pour les petits », s’enthousiasme le jeune vigneron avant une réunion, le 20 juin. « Mon père José est entré au bureau. » D’après la coordinatrice du mouvement en Occitanie, le syndicat héraultais compte 60 adhérent.es, contre 20 avant le mouvement de l’hiver 2024, et plusieurs centaines de sympathisants.es. Pascal Marié, trésorier du syndicat qui y milite depuis dix ans, souligne un progrès depuis l’hiver dans les contrôles réalisés chez les négociant.es en vin. Pour Arnaud, certaines choses vont dans le bon sens, comme la suppression de la taxe supplémentaire sur le Gazole Non Routier (GNR). Mais d’autres mesures prises par le gouvernement le laissent plus sceptique. « La prise en charge des cotisations MSA [NDLR : sécurité sociale agricole ] s’accompagne de beaucoup de paperasse. » Et surtout, «sur le cœur du problème, le revenu, on a pas avancé. « Des prix, pas des primes », c’est pour ça que se bat la CR.

« Des prix, pas des primes »

« Mon métier est une passion. », explique Delphine, elle aussi au syndicat depuis le mouvement. « Mais quand notre fils a voulu nous rejoindre dans notre Groupement Agricole d’Exploitation en Commun (GAEC) familial, j’ai été très mécontente. Je n’ai pas envie de toutes ces galères pour lui. On tire à peine un SMIC de notre activité avec mon mari » Sur son exploitation de 130 hectares, principalement occupés de foins et de luzerne, Benjamin a perdu le gros de sa récolte l’an dernier à cause de la sécheresse. « Depuis six ans, je n’arrive plus à vivre de mon exploitation, je suis salarié à temps plein dans une entreprise de travaux agricoles. », explique-t-il. L’homme s’interroge sur le rôle des intermédiaires. « J’ai une copine éleveuse sur le Larzac. Quand elle va au supermarché, elle voit bien que le prix d’une épaule et d’une côtelette ça couvre le prix auquel on lui achète l’agneau. Où va l’argent ? » « À 95% on est sur des marchés de masse en agriculture », développe Pascal, à la tête de 72 hectares de vigne et de cinq salarié.es à l’année. « Six centrales d’achat dirigent le marché et la grande distribution, ce ne sont pas des philanthropes. » Faire progresser la vente directe ? Arnaud s’y applique, lui qui a ouvert cet hiver le groupe Facebook « Du producteur au consommateur 34 », déjà fort de plus de 11000 adhérent.es. « Mais ça reste limité, les gens qui sautent des repas vont acheter dans la grande distribution et continuerons. », constate-t-il. Le vigneron a organisé de nombreuses actions visant les banques du département. « Dans l’établissement où je suis, les taux d’intérêts sont passés de 1 a 4% en deux ans. », s’agace-t-il. « On a l’impression de bosser pour les banques et les producteurs de produits phytosanitaires, et les dirigeants de la FNSEA sont dans le Crédit Agricole et bloquent tout. »

La proposition de prix planchers est pourtant globalement rejetée à la CR34. « J’ai peur que ces prix deviennent des prix plafond et soient toujours à la baisse. », argumente Laurent Crouzet, fraîchement débarqué à la CR34, viticulteur sur ses 50 hectares de vignes situés à Puisserguier. « Il faudrait d’abord s’occuper de la concurrence déloyale due au libre-échange international. » « Comment le mettrait-on en place, avec toutes les différences et disparités régionales dues au climat, au sol etc ? », s’interroge un Pascal nullement plus convaincu. « Quand on veut embaucher on a plus de charges sociales que de salaire à payer », ajoute Laurent.

Des traités bilatéraux plutôt que multilatéraux

« Depuis que la communauté européenne existe, pas moins de 42 traités d’échanges multilatéraux qui ont été signés, impliquant 74 pays. », observe Pascal. Benjamin ne se retrouve plus dans cette concurrence débridée. « Entre 60 et 70 % des blés arrivent d’Ukraine, de Roumanie ou du Canada. On parle d’écologie mais c’est paradoxal avec les coûts de transports alors qu’on pourrait produire sur place. Ce serait simple de mettre en place une taxe carbone proportionnelle à la distance pour dissuader trop d’imports et amoindrir les effets de la concurrence. Ou une TVA sociale sur les produits importés. Au niveau des charges sociales, faire un SMIC qui est le même pour tout le monde dans l’Union Européenne. », propose le céréalier. La Coordination Rurale de l’Hérault défend des traités bilatéraux plus ciblés. Pascal y voit une réponse à certaines absurdités : « C’est la mère de toutes les batailles, et ce qui nous oppose à la Commission Européenne. La France, un des pays les plus vertueux en termes de production agricole, importe massivement des produits de l’international, fabriqués avec des méthodes de production très loin des normes imposées en France. C’est un non sens pour l’environnement comme pour notre revenu. »

Le syndicat revendique ainsi une exception agriculturelle, calquée sur l’exception culturelle qui régule le marché de la culture pour y assurer la production d’œuvres françaises.

Écologie, paperasse et crise viticole

L’ autre thème souvent avancé dans la lutte de paysanne de l’hiver 2024 : un excès de normes de tout type. « Bien sûr il faut faire de l’écologie. », reconnaît Benjamin. « Mais on est contrôlé.es par des gens hors sol. Dès que j’ai l’occasion de pas utiliser des produits phytosanitaires je le fais, ça nous arrange, ça coûte moins cher, pour notre santé aussi. Mais ce n’est pas toujours possible. » Mathieu et Laurent partagent ce point de vue, et s’inquiètent des frais engendrés par cette flambée normative. Pascal rappelle les revendications historiques du syndicat : « Moins de paperasse et de contrôles, et que le reste ne soit pas à charge des agriculteurs.trices. » D’autant que toutes les normes ne sont pas environnementales.

L’Hérault, en particulier l’ouest du département, est aussi touché par de graves sécheresses. Arnaud Poitrine, comme nombre de ses compagnons de la CR 34, souligne les limites des méga-bassines tant contestées. « Elles prennent des terres agricoles, pompent directement dans les nappes phréatiques et pour couronner le tout il y a de l’évaporation en surface, du gaspillage. », explique l’agriculteur. « Pour autant on a besoin d’accès à l’eau. Les retenues collinaires, de petites structures qui captent les excédents des crues sur des cours d’eau qui continuent à couler, sont de bonnes solutions. » « Le problème c’est que certains lobbys écologistes s’opposent à toute solution. », s’énerve Pascal. « Mais nous si on ne peut pas avoir de retenues collinaires on soutiendra les méga bassines malgré leurs limites, il faut bien des solutions. »

Les projets d’irrigation à partir du lac du Salagou sont par exemple contestés par la Coord’Eau, qui regroupe collectifs écologistes et Confédération Paysanne. « Mais à la base le barrage du Salagou a été fait pour l’irrigation justement », rappelle Arnaud. Pour Laurent, « il n’y a pas de problème de ressources mais d’infrastructures, on finance des choses inutiles alors qu’il nous faudrait un plan d’investissement de long terme, notamment pour ramener de l’eau de régions où les pluies se font plus intenses. »

Comme tous les vignerons de son organisation, Laurent voit d’un mauvais œil les incitations à l’arrachage d’une partie du vignoble, en pleine crise de surproduction : « Ça va tuer nos territoires et les appellations contrôlées. On fait quoi après ? La vigne est une des cultures les moins gourmandes en eau. C’est d’autant plus aberrant que d’un autre côté il y a depuis 2015 une loi qui donne des droits de plantation qui agrandissent certains vignobles. » Les propositions de nationalisation des négociants en vin, le temps que la crise se tasse, portées notamment par l’ancien député France Insoumise de la 4ème circonscription Sébastien Rome, tout juste battu, ne convainquent ni Laurent ni Pascal. « Pourquoi faire ? », rebondit ce dernier. « On va forcer les gens à boire du vin ? »

Un syndicat d’extrême-droite ?

Pas grand monde à la CR 34 pour défendre le bilan de la FNSEA. « Une mafia », commente Pascal. « Ce qui nous distingue de la Confédération Paysanne c’est que nous refusons de hiérarchiser les différents types d’agriculture en mettant en avant seulement l’agroécologie. Il en faut pour tout le monde, des exploitations qui fournissent les marchés de masse aux fermes familiales, de la production conventionnelle à l’agriculture biologique. » « Si les gens de la Conf’ prenaient leur mode de production comme un parmi d’autres à défendre ils auraient toute leur place parmi nous », ajoute Laurent.

La Coordination Rurale est régulièrement accusée d’entretenir des liens et des affinités idéologiques avec le Rassemblement National. Ce qui irrite Arnaud : « C’est une technique pour nous discréditer. Dès qu’on est en désaccord avec le gouvernement, on est qualifié d’extrême-droite, d’extrême-gauche, de zadiste. À la CR quand quelqu’un a un mandat politique il doit se désister de ses responsabilités syndicales. Certains adhérent.es ont des sympathies pour le RN, d’autres pas du tout. » S’il faut rappeler que chaque syndicat départemental de la CR est indépendant, les exemples ne manquent pas ailleurs de sympathies affichées entre des membres de la CR et l’extrême-droite. De nombreux cadres du mouvement se sont exprimés en faveur du parti. Par exemple, le lot-et-garonnais Serge Bousquet-Cassagne, figure du mouvement dont le fils était un temps encarté au RN, est connu pour ses sorties polémiques.

« C’est regrettable », concède Arnaud. « Mais on parle avec tout le monde. Pendant le mouvement agricole il y eu des discussions avec le RN mais aussi François Ruffin ou d’autres personnalités politiques. »

Dans le Gard, Richard Roudier, chef d’un mouvement d’ultra-droite raciste et violent, la Ligue du Midi, était président de la CR jusqu’en 2015. Dans l’Hérault, Benoît d’Abbadie était adjoint au maire de l’édile d’extrême-droite Robert Ménard depuis 2014, avant de démissionner et d’intégrer le bureau de la CR. Il n’est plus aujourd’hui à un quelconque poste à responsabilité dans le syndicat. Arnaud, comme Laurent et Benjamin, assurent n’être pas au courant de son engagement politique à l’extrême-droite.

Dans leur ensemble, les agriculteurs.trices ont placé en tête les candidat.es de gauche au premier tour des législatives, suivi des candidat.es macronistes, de droite, et en dernier des candidat.es d’extrême-droite, selon une étude du Cévifop pour la fondation Jean Jaurès.

Julien Servent

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