Sans solution face au covid-19, l’État réprime les mutins de la prison de Béziers

Le Poing Publié le 24 mars 2020 à 15:47 (mis à jour le 24 mars 2020 à 19:09)

Inquiets face à la catastrophe sanitaire qui se profile dans les prisons face au covid-19, une trentaine de centres pénitentiaires ont été touchés par des mouvements collectifs de contestation depuis l’annonce du confinement. Ce samedi 21 mars, des détenus de la prison de Gasquinoy, à Béziers, ont refusé de réintégrer leurs bâtiments cellulaires alors qu’ils étaient en cour de promenade. La mutinerie a touché trois cours de promenade. Les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) sont intervenues en utilisant des grenades de désencerclement, et, selon nos informations, l’un des mutins a été mis en joug par une arme à feu par un surveillant pénitentiaire. Les prisonniers ont réintégré leurs cellules en début de soirée.


Alors même que le procureur de Béziers parle d’une mutinerie sans grande violence, l’administration pénitentiaire se montre menaçante : « Les meneurs ont été identifiés […] Notre réponse sera ferme » Cinq détenus ont été condamnés : le premier à douze mois de prison ferme parce qu’il aurait « forcé avec une barre de fer le grillage d’une cour de promenade et pour outrage et menace envers un surveillant », le second à six mois ferme pour avoir participé à la dégradation de ce grillage, le troisième à six mois ferme pour avoir craché sur un agent des ERIS, le quatrième à six mois ferme parce qu’il aurait « jeté une bouteille en plastique sur un agent des ERIS sans parvenir à l’atteindre », et le cinquième, en détention provisoire, à trois mois de sursis. Selon nos informations, la direction de la prison organiserait ce mardi 24 mars des auditions rassemblant des détenus et des agents de l’ERIS en vue de sanctions.

D’après un détenu de Béziers contacté par Le Poing, « en plus de ceux qui ont atterris en garde à vue, plusieurs ont finis au mitard et un détenu blessé par les ERIS a dû être suturé à l’aide de plusieurs points. Le dimanche, les détenus ont été intégralement privés de promenades. La mutinerie s’est déclenchée samedi en partie à cause d’un article de presse du Midi Libre, dénommé ‘‘Privés de parloirs, familles et détenus patientent sans broncher’’. Ce qui a été perçu comme un symbole du manque de respect envers les taulards. » L’article en question a été renommé dans sa version numérique. La situation reste pour le moment tendue, et la prison de Gasquinoy n’est pas à l’abri d’autres effusions de colère si l’État ne fait rien pour satisfaire les revendications sanitaires des prisonniers, ici résumées dans un texte partagé au sein de la prison de Béziers : « Nous, détenus de France, et parfois injustement enfermés, demandons un plan d’action sanitaire en cas de contamination au sein de chaque centre pénitencier. Nous, détenus, accusons le système judiciaire et carcéral de nous mettre en danger de mort et demandons immédiatement le désengorgement de toutes les prisons en libérant les fins de peine et les détenus considérés non dangereux pour notre société afin de ne plus jamais dépasser la capacité d’accueil des prisons. Nous demandons à ce que vous soyez vigilants de sorte à ne plus jamais nous entasser au point de dormir par terre. Et ce, en vous assurant dorénavant de bien réguler les prisons pour incarcérer dans des conditions dignes d’un pays comme la France. »

« Les détenus se sentent plus qu’oubliés »

« Les retours des détenus, c’est qu’ils se sentent plus qu’oubliés… Plus de parloirs, promenade annulée ou réduite à une heure par jour, la cantine réduite au strict minimum… Les matons n’ont aucun masque donc les détenus ont peur qu’ils leurs ramènent le virus de l’extérieur. Il y a une grande incompréhension des mesures prises par la ministre. Des miettes pour les prisonniers, un forfait à 40€ par mois pour le téléphone [disponible en cour de promenade], ça ne répond pas à leurs inquiétudes », témoigne le détenu de Béziers déjà cité. La partie « maison d’arrêt » de la prison de Béziers – qui compte aussi un quartier pour ceux placés en semi-liberté – est hautement surpeuplée avec 658 détenus pour 387 places, soit un taux d’occupation de plus de 170% ! Un problème récurrent des prisons françaises qui inquiète quant à la capacité à empêcher la propagation du coronavirus derrière les barreaux. Ces conditions de détention dégradantes et cette réaction délétère de l’administration pénitentiaire face à la pandémie touchent la plupart des prisons en France. Selon le témoignage d’un prisonnier de Villeneuve-les-Maguelone, les détenus présentant des symptômes ne sont pas testés mais transférés en cellules d’isolement (mitard). Pourtant, le mitard n’est pas une cellule prévue pour soigner, mais pour sanctionner. La Commission nationale consultation des droits de l’Homme parle de « torture blanche » pour qualifier les conditions de détention au mitard.

L’arbitraire de l’administration pénitentiaire

Le collectif Cool-actif 11 vous soutient organise des visites aux prisonniers issus du mouvement des gilets jaunes, leur adresse des lettres collectives, organise des vides-greniers et des concerts pour récolter des fonds à destination des détenus. Lors de leurs activités, les membres de ce collectif ont déjà pu constater la politique de l’administration pénitentiaire du Gasquinoy. Début février, tous les mandats (virements bancaires) adressés aux détenus sont revenus sur le compte en banque de l’association. Après un mois d’acharnement et de silence de la part de la direction, ils obtiennent enfin une explication : l’administration pénitentiaire se méfie du principe-même d’un comité de soutien, et exige, en toute illégalité, qu’à l’avenir, les mandats soient envoyés uniquement par des personnes bénéficiant de parloirs. Un arbitraire qui ne touche pas que la prison de Béziers, comme en témoigne un ancien détenu gilet jaune : « Moi personne ne pouvait m’envoyer de mandats sauf une personne. Alors que les autres détenus recevaient sans problème ce qu’ils voulaient. » Début mars, un autre gilet jaune s’est plaint, lors d’un parloir avec un membre du Cool-actif, de l’absence totale de prise en charge de ses problèmes de santé.

Face au covid-19, pas de libérations massives en France

La République islamique d’Iran, qui a condamné à mort 253 personnes en 2018, a décidé de libérer provisoirement 85 000 détenus pour limiter les risques face à la pandémie. Les prisonniers purgeant une peine de moins de cinq ans ont recouvré la liberté, sans savoir quand ils seront de nouveau engeôlés. En France, des octrois exceptionnels de peine sont réservés à ceux qui ont « un bon comportement » pendant le confinement.

Le ministère de la Justice va autoriser la libération d’environ 5000 détenus en fin de peine, sans aménagement de peine, principalement destinés aux « détenus malades qui ont d’autres maladies que le coronavirus » et « les personnes à qui il reste moins d’un mois de détention à faire », dixit la ministre de la Justice. Quoiqu’il en soit, le chiffre de 5 000 libérations semble bien dérisoire face aux 70 651 détenus recensés dans les prisons françaises.

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