Séparatisme : entretien avec Eugénie Loison de la Libre Pensée | « La laïcité n’est pas une valeur à défendre, mais une loi »
Article initialement paru dans notre numéro d’anniversaire “spécial dix ans” en janvier 2024.
Eugénie Loison est la présidente de la fédération Héraultaise de la Libre pensée, une association aussi vieille que la loi de 1905 de séparation des églises et de l’État, dont la mission est justement de veiller au respect de cette loi. Pour Le Poing, elle est revenue sur les combats qu’elle et ses camarades ont mené dans l’Hérault dans la décennie qui vient de s’écouler.
Quels ont été les principaux combats de la Libre Pensée ces dix dernières années ?
Eugénie Loison : Dans l’Hérault, la Libre Pensée était en sommeil jusqu’en 2015, où l’association s’est reconstituée. Notre première lutte a été d’interpeller le maire de l’époque, Philippe Saurel, qui s’était placé en défenseur traditionnel des fêtes de la Saint-Roch, des fêtes cultuelles avec des messes et des processions, en leur accordant une subvention. Le problème, c’est quand l’État donne des subventions pour organiser ces fêtes. Dans la loi de séparation des églises et de l’État, il est dit que les élu.es ne doivent pas faire de la publicité et subventionner des cultes, donc on l’a interpellé là-dessus.
Une affaire qui a continué jusque sous le mandat de Michaël Delafosse…
Eugénie Loison : L’an dernier, l’adjointe au maire Fanny Dombres Coste est partie en pèlerinage et aux messes à Saint Jacques de Compostelle, dans le cadre des fêtes de Saint-Roch, tout cela soutenu et financé par la Mairie à hauteur de 3 500 euros.
Un autre de vos gros combats de ces dernières années s’est déroulé à Béziers avec les crèches de Noël, pouvez-vous nous en dire plus ?
E. L. : Depuis 2014, Robert Ménard a créé une messe lors de l’ouverture de la féria de Béziers, à laquelle il participe. C’est une atteinte à la laïcité, car l’État est censé être neutre. On a vu Hugues Moutouh, ancien préfet de l’Hérault, en écharpe, à cette messe. Donc un représentant de l’État. Il n’a pas le droit de le faire. Nous avions écrit au ministère de l’Intérieur, qui n’a jamais répondu… C’est grave, car la loi de 1905 instaure la liberté de conscience, donc la paix civile, qui permet d’éviter ce qu’on voit en ce moment avec les discours sur une prétendue guerre civilisationnelle entre l’Islam et l’Occident…
Revenons à Michaël Delafosse. Vous aviez vivement réagit quand il a mis en place sa « charte de la laïcité ». Pourquoi ?
E. L. : Cette charte conditionne l’obtention de subventions des associations au respect des principes de la laïcité. Déjà, la loi de 1905 précise que c’est à l’État d’être neutre en termes de croyances, pas aux associations. Il n’y a pas besoin de charte, la loi de 1905 fixe déjà toutes les règles nécessaires. Cette charte servait en priorité à stigmatiser les associations de confession musulmane dans les quartiers populaires. Ça remet en question la liberté d’association. C’était l’avant-garde de la loi contre les séparatismes, apparue quelque temps plus tard avec son contrat d’engagement républicain. Delafosse marchait dans la ligne droite de Gérald Darmanin.
Il a fait un appel à projet pour faire la promotion de la laïcité en ville, avec un focus sur les QPV (quartiers prioritaires de la ville), là où on sait que vivent beaucoup de personnes de confession musulmane. Le principe de laïcité devient un principe « fourre-tout », puisqu’il est dit dans cet appel, qu’il sert à « développer l’altérité, le vivre ensemble, lutter contre les stéréotypes et les discriminations, que la loi 1905 est une histoire de tolérance. »
Ce n’est en aucun cas la loi 1905, qui est très claire dans son fondement. La seule chose qui y est dite, c’est la séparation de l’Église et de l’État assurant ainsi par la neutralité de l’État, la liberté de conscience, de culte, de croyance garante de la paix civile.
Par conséquent, il ne s’agit pas de, et je cite « faire vivre l’esprit et la lettre de la loi 1905 », ce qui est certes très poétique, mais d’appliquer cette loi à la lettre, ni plus ni moins.
Michaël Delafosse s’est récemment fait remettre un « prix de la laïcité » par un journaliste de Charlie hebdo. Quelle est votre réaction là-dessus ?
E. L. : De quelle laïcité parle-t-on ? La laïcité n’est pas un principe fourre-tout où on peut mettre n’importe quoi derrière, une valeur à défendre comme le dit Michaël Delafosse, c’est une loi. Il semblerait que le Maire de Montpellier, voit cette loi de 1905 de façon inversée. Pour lui, ce serait au citoyen d’appliquer cette loi, or, elle s’adresse aux institutions. Lorsqu’il critique « ceux qui veulent transformer la laïcité en glaive », c’est hélas, par sa charte, ce qu’il est en train de faire.
Depuis quelques mois, on assiste à l’émergence de nombreux salons du bien-être avec des intervenants aux croyances new-age à Montpellier. Sur son « portail des assos », la Ville de Montpellier faisait la promotion d’une association anthroposophique (avant suppression à la suite d’un article du Poing), une doctrine ésotérique très décriée. Ces nouvelles croyances entrent-elles dans le champ de votre combat pour la laïcité ?
E. L. : Le site de la mairie n’a pas à faire la publicité de ces croyances. Surtout quand on sait que l’anthroposophie a inspiré le mysticisme nazi… D’ailleurs, l’association SEVE, qui a remporté l’appel à projet sur la laïcité dans les quartiers, est dirigée par Frédéric Lenoir, un écrivain très spirituel orienté développement personnel, qui a écrit un livre qui s’appelle « Comment Jésus est devenu Dieu »…
Quelles sont les prochaines batailles à mener pour la Libre Pensée ?
E.L. : Nous sommes très actifs dans les manifestations pour demander un cessez-le feu en Palestine, car l’ADN de la Libre Pensée est le pacifisme. Jean Jaurès a appartenu à notre association, ne l’oublions pas. Ensuite, nous allons demander l’abrogation de la loi Debré, qui autorise le financement par l’État d’écoles privées, donc souvent catholiques, alors que l’État ne doit subventionner aucun culte. Deux de nos représentants nationaux ont été reçus à l’Assemblée nationale pour envisager un projet de loi. Vu l’état de l’éducation nationale, il apparaît urgent que cet argent ne finance que l’école publique…
*Il a fallu attendre 2021 pour que les fêtes de la Saint-Roch, célébrant le « saint patron des pélerins de Montpellier », cessent d’être subventionnées par la mairie. Par ailleurs, l’existence de ce personnage légendaire a été remise en question par l’historien Pierre Bolle, qui affirme « qu’on ne peut mettre en évidence la moindre trace de culte ancien à Montpellier qui se raccroche à la figure de Roch de Montpellier. »
A noter que pour l’édition 2024, la Libre Pensée a récemment envoyé un courrier à Michaël Delafosse, en s’inquiétant du potentiel retour de ces financements : “En effet, on trouve dans le programme « Montpellier fête Saint Roch – organisée par l’Association Internationale Saint-Roch de Montpellier en partenariat avec la Ville de Montpellier », la description des festivités décrites comme « identitaires », à savoir : La « participation au cortège du 132ème régiment d’infanterie cynotechnique », « Les unités militaires cynotechniques (travaillant avec des chiens) sont sous le patronage de saint Roch”, “Le 15 août, en matinée démonstration des différentes activités canines » Aussi, Monsieur le maire, nous vous demandons de clarifier votre position vis-à-vis de la laïcité : garantissez-vous que la mairie ne sera pas mêlée à l’organisation de fêtes religieuses, même sous couvert de « festivités » ?” Affaire à suivre.
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