Un autre horizon en manifestation : quand les gilets jaunes s’évadent du centre-ville de Montpellier

Le Poing Publié le 4 juillet 2019 à 13:15
Dessin de Tati Richi
Article initialement publié début avril 2019 dans le numéro-papier 33 du Poing. Les passages entre crochets ont été rajoutés a posteriori.

Les lieux de pouvoir s’y concentrent. Samedi après samedi, le centre-ville monumental aimante la dénonciation manifestante, sur la scène symbolique du grand théâtre civique protégé par une armée répressive. À Montpellier, les gilets jaunes ont aussi tenté de déplacer leurs cortèges en lointaine périphérie, où sont relégués les plus pauvres ; où scintillent aussi les temples de la consommation. Retour sur cette géographie mouvante.

En poussant par la Paillade…

Tout est parti de l’observation de terrain, en plein rond-point. Richard se convainc vite que les klaxons et les saluts les plus chaleureux proviennent d’automobilistes qu’il reconnaît venant des quartiers. Mais un grand pas reste à faire pour que ceux-ci quittent le volant et enfilent le gilet. Hélas sans trop de discussion approfondie, sa proposition est alors retenue en assemblée générale montpelliéraine : le prochain cortège se réunira d’abord dans la lointaine ZUP de La Paillade, pour ensuite reprendre le parcours habituel depuis la place centrale de la Comédie.

Aux cent cinquante gilets jaunes qui s’y rendent, cela laisse peu de temps pour distribuer les tracts, engager la discussion devant la grande halle du quartier populaire, puis dans un centre commercial proche. Certains manifestants confient un malaise « à venir faire du tourisme militant chez les rebeux », quand d’autres piaffent d’impatience de rejoindre le gros du cortège en train de se réunir loin de là. Dans ces conditions, il serait illusoire que Les Pailladins se joignent soudain physiquement au déplacement.

N’empêche : par rafales de klaxons, crépitements de selfies, youyous enflammés et gilets brandis aux balcons, ils réservent un accueil enthousiaste à ces visiteurs qui ne leur ressemblent pas en tout point. Richard sait bien comment les habitants de La Paillade ont profondément intégré le sentiment de ne pas être des Montpelliérains à l’égal des autres. Profonde relégation sociale. Expérience quotidienne de la violence répressive d’État. Legs désastreux des « politiques » (notamment de gauche) juste électoralistes.

En face de quoi, Richard pointe aussi les réflexes profondément ancrés, qui font percevoir les cités, non pas comme le lieu de vie des milieux populaires, des pauvres et des précaires, mais plutôt un autre monde, quand même à part, disons : l’endroit des Arabes. Là-bas. Entre eux. Reste qu’« il est évident qu’on nous a dit, très chaleureusement, à quel point on nous y attendait » retient Richard, « tout particulièrement les Maghrébins plus âgés, qui ont connu une autre France, dans laquelle ils avaient mis leurs espoirs, justifiant les sacrifices de la migration ». Brève, trop brève, rare, trop rare, ponctuelle, trop ponctuelle, la venue des Gilets jaunes à La Paillade aura néanmoins signifié énormément.

et par Odysseum

Au bout d’avenues interminables sans âme qui vive, loin en direction de l’aéroport et des stations balnéaires, il ne viendrait à l’idée de personne de partir du centre-ville à pied pour se rendre dans le centre commercial new-look d’Odysseum. Surtout sous une pluie battante. C’est bien ce qu’ont fait tous les gilets jaunes manifestant d’un samedi de la mi-janvier à Montpellier, quand les soldes battaient leur plein dans ce Las Vegas du pauvre.

Membres de la commission action, Sandrine et Gabriel étaient mandatés pour réfléchir à des objectifs stratégiques. « Ce temple de la consommation s’est imposé tout de suite. À la préfecture, on bloque une place pendant une heure avant de se faire gazer. Point. Pour ne parler que d’efficacité dans le blocage – qui était quand même l’objectif – aller à Odysseum a fait fermer le plus grand centre commercial de l’agglomération, mais aussi perturber les lignes de tram, et la circulation sur la voie rapide de l’aéroport ».

Mieux : « Même jetés dehors de commerces fermés à la hâte, beaucoup de clients manifestaient leur sympathie. On a pu discuter en ayant un peu de temps, sans les flics aux trousses ». Il n’empêche : comme à La Paillade, une manifestation de gilets jaunes se gère en grande partie d’elle-même. « Alors la queue de cortège a décidé qu’il fallait retourner vers la préfecture comme tous les samedis,et tout le monde a suivi » constatent Sandrine et Gabriel, en le regrettant quelque peu.

De quels flux est faite la ville ? Où convergent les logiques actuelles et profondes qui vident les vies de leur sens, dans le spectacle tout-puissant de la marchandise ? Sans doute plus en périphérie qu’on croit. [Ce samedi 6 juillet dès 10h, pour l’acte 34, les gilets jaunes poursuivront l’évasion à la plage du Petit Travers, à Mauguio. Après la terre et la mer, il ne restera plus que le ciel.]

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