Union Thugs à Montpellier : entre punk et syndicalisme révolutionnaire outre-atlantique

Elian Barascud Publié le 7 septembre 2023 à 11:38 (mis à jour le 1 décembre 2023 à 11:32)
Après la conférence sur l'International Workers of the World, le groupe de folk-punk de Montréal Union Thugs a fait chauffer ses amplis à la tendresse , mardi 5 septembre. (Crédit : Union Thugs)

Mardi 5 septembre, le Barricade avait invité à la salle la Tendresse le groupe de punk-folk Montréalais Union Thugs, dont les membres font partie d’Industrial Workers of the World, le seul syndicat révolutionnaire en Amérique du Nord. L’un d’eux a décrit leur histoire et leurs actualités

«  Déjà, se retrouver à 50 personnes de toutes générations confondues un mardi soir pour une conférence politique et un concert de punk, chez nous, c’est impossible ! », introduit avec humour Mathieu, bassiste du groupe Union Thugs, et membre de la section de Montréal des Industrials Workers of the World, tout en essayant de lisser son fort accent québecois.

Car au Québec, l’extrême-gauche souffre selon lui d’un manque de structuration à cause d’un turn-over permanent de ses militants, doublée d’une énorme distance géographique entre ses membres, rendant les réunions compliquées, et de la prégnance d’un cadre légal puissant qui a annihilé la culture de l’action directe. «  On a regardé les émeutes françaises de cet été [consécutives à la mort de Nahel, NDLR] avec beaucoup d’intérêt, on se disait que les Français avaient peut-être un début de solution », explique-t-il en rigolant.

Un siècle d’existence en pointillés

Car malgré un constat peu optimiste de la situation politique nord-américaine, force est de constater qu’un syndicat, présent aux États-Unis et au Canada, tente à son échelle d’inverser la tendance. Né en 1905, Indusrtials Workers of the World affiche une volonté d’en finir avec le corporatisme syndical de l’époque en regroupant les ouvriers en dehors de leurs corps de métiers, et a pour objectif la gréve générale.

Après une forte croissance pendant trois décennies, l’IWW connaît une chute libre de ses membres dans les années 30, notamment à cause de la concurrence d’un autre syndicat, l’American federation of labour.

Les idées révolutionnaires portées par l’IWW connaissent un nouveau soubresaut au moment des années hippies, essentiellement par la vente de journaux, mais sans réelle activité syndicale. «  C’était plus des groupuscules dans 45 villes des États-Unis et du Canada », précise Mathieu. C’est à cette période, celle du mouvement des droits civiques, que l’IWW décide pour la première fois dans l’histoire du syndicalisme américain d’intégrer les femmes et les personnes noires dans ses rangs.

Les années 90 marquent le retour d’une ligne véritablement révolutionnaire, et dans les années 2000, le syndicat construit des « formations d’organisations », deux jours de formations sur « comment parler concrètement aux collègues dans la réalité du travail, en laissant au placard ce qu’en dirait Marx ou ce qu’en pensait Bakounine ». Cette culture syndicale, plus pratique que politique, qui s’épargne de débats de chapelles jugés stériles, part du constat que l’extrême-gauche américaine est trop petite et morcelée pour pouvoir s’éterniser sur la théorie.

«  Réclame ta paye »

En 2003-2004, l’IWW s’investit dans les enseignes Starbucks. En Amérique du Nord, le principe du « closed-shop » impose un seul syndicat qui regroupe plusieurs tendances dans une entreprise. L’action directe y est une fiction, seuls les recours légaux au tribunal font partie des modalités d’actions syndicales. «  Nous, on essaie de tirer les centrales sur leur gauche », décrit Mathieu.

Car là ou l’IWW change la donne, c’est que sans cadre légal ni permanent syndical grassement payé, les « woblies » (nom donné à ces syndicalistes), tentent de créer une culture de l’action directe et se lancent dans une série d’actions nommées « réclame ta paye ». «  Quand le patron exerce des retenues sur salaires ou ne paye pas toutes les heures dues, on arrive à 40, on s’assoit, et on ne part pas tant que le patron n’a pas payé », raconte le bassiste d’Union Thugs. « Mais souvent, après ça, tu perds ton travail … »

Du syndicalisme… en prison

Aujourd’hui, l’IWW revendique près de 10 000 adhérents aux États-Unis et au Canada, principalement dans l’éducation, la restauration rapide, le « communautaire » (l’équivalent du travail social en France) et… les prisons, qui concentrent la moitié de ses membres. « Non pas que la répression syndicale soit féroce, mais aux États-Unis, les prisons, c’est le travail forcé, donc on a décidé de syndiquer aussi les prisonniers », s’empresse de préciser Mathieu, face à l’incrédulité de l’assistance. « C’est une IWW parallèle, on ne sait pas vraiment ce qu’il s’y passe, si ce n’est que y a quelques années, plusieurs prisons américaines ont été à l’arrêt complet pendant quelques jours. »

Malgré le faible nombre de militants de l’IWW et la distance géographique qui les séparent, ces derniers continuent le combat. « Notre slogan, c’est qu’on gagne ou on apprend, mais on ne perd jamais ! », conclut Mathieu, faisant souffler un vent frais venu du Canada sur une assistance revigorée par cet optimisme inébranlable.

E. B.

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