À la Soucoupe de Montpellier : l’inter-luttes au bord de ses g-rêves
Le Poing
Publié le 7 décembre 2019 à 11:49 (mis à jour le 7 décembre 2019 à 12:43)
Impact
de masse ou qualité d’organisation ? Difficile équilibre
longuement discuté, pour un vendredi en suspension, avant un nouveau
rendez-vous mystère sur la Comédie
Toute une mouvance de gilet
jaunes historiques (mais surtout pas de Prés
d’arènes), des figures d’Extinction Rébellion, le groupe
compact de l’Arme révolutionnaire marxiste (dont la présence est
préalablement disputée par certains ; particulièrement celles
dont les
affiches féministes ont eu à souffrir de l’intransigeance théorique
de classe). Également des syndicalistes de Solidaires. En
inter-syndicale de l’après-midi de ce vendredi, ceux-ci ont tenté
de convaincre la CGT, FO ou la FSU de se joindre eux aussi à cet
échange général en soirée. Tenté d’arracher un appel syndical à
converger ce samedi à 14h sur la Comédie, en retour de la
mobilisation jaune pour le 5 décembre.
Là faut pas rêver. Hormis Solidaires, la composante directement syndicale de la mobilisation actuelle ne se montre pas ce vendredi 6 décembre – journée en suspension – à 19 heures à la Soucoupe d’Agropolis à Montpellier, réquisitionnée depuis la réunion nationale de l’assemblée des assemblées des gilets jaunes, voici six semaines. Au moins apprend-on que l’assemblée générale des grévistes de l’enseignement aurait, elle, décidé de se montrer à la Comédie.
C’est l’une des infos qu’on va s’échanger, longuement, avec un remarquable niveau d’écoute, entre une centaine de participants, deux heures durant. Il faut dire que cette assemblée inter-luttes, à composante gilets jaunes dominante, certains GJ pas tous, n’a pas validité décisionnaire au-delà de ses propres rangs. Chacun en convient. Et c’est peut-être ce qui permet d’autant un échange méticuleux. Mais au final des perspectives assez cafouilleuses.
Difficile de restituer le tout
autrement qu’à trop grands traits. Bilan serré est tiré du blocage
semi-avorté de la raffinerie de Frontignan, jeudi. On en conclut
qu’il vaut mieux éviter d’appeler à ce genre d’action au moment
même où chacun se rend par ailleurs en manifestation. Mais on
conclut aussi sur une faiblesse récurrente de l’organisation des
actions, à commencer par la diffusion défectueuse d’informations
efficaces en temps réel. Après quoi, le nombre ne fait plus le
poids.
Présent au blocage d’Amazon à Montélimar, l’auteur de l’article qui en a rendu compte dans nos colonnes, souligne à nouveau cette contradiction entre, d’une part l’effervescence spontanéiste, peu prévisible et fort souhaitable, issue d’un mouvement gilet jaune endurci, et d’autre part l’efficacité manifeste des modes d’organisation très sophistiqués que met en pratique Extinction Rébellion par exemple.
L’évaluation de la manifestation montpelliéraine de jeudi montre une ambivalence assez proche. Si quasi tout le monde se réjouit d’un moment historique quantitativement, le qualitatif se discute beaucoup plus. Le traîne-savatisme reste l’attitude hyper-dominante dans le cortège. Une certaine présence gilet jaunes, façon Convergence 34, ne joue là que dans la nuance, avec ses haies de banderoles comme sorties du pressing. Puis, quand le cortège officiel accouche par surprise d’une miraculeuse manifestation sauvage de fait, elle se retrouve canard sans tête sur la Comédie.
Alors même qu’elle implique quantité d’énergies tout nouvellement mobilisées, souvent déterminées à garder tête haute sous les gaz pendant des heures, peu ou prou soutenue par des milliers de manifestants, elle se laisse mettre en pièces, démunie, par des baqueux en nombre cinquante fois inférieur. Comment s’imposer enfin ?
Comme par hasard, c’est au moment, trop tardif, d’envisager des modes d’action plus pointus aussi bien ce samedi après-midi que mardi en nouvelle journée inter-pro, que la discussion s’effiloche. Quand l’Arme révolutionnaire marxiste estime urgent de donner l’abolition de la propriété privée comme objectif à la contestation, d’autres dressent le catalogue des blocages grévistes à aller renforcer (se reporter aux réseaux sociaux). En période de fêtes, chacun voit bien comment un magnifique blocage, façon Amazon, dans un centre commercial, serait une alternative géniale au cirque des gaz-LBD gare-pref du samedi.
Quant à une reprise de péage, presque tous s’accordent à sortir de la clandestinité illusoire des consignes chuchotées en crypté – que la police sait toujours lire si elle le veut – pour lancer un vrai appel de masse su et connu de tous. Sauf qu’une fois sur place, il faudrait être hyper agile pour déjouer des rangs de CRS prêts à l’empêcher. Là encore, le renvoi aux messageries demeure, pour l’heure, le seul recours un peu fiable. Les plans A, et B, et C sur place étant un autre tour de manche.
À propos de CRS (ici la CDI plus exactement) ce vendredi matin devant les lycées montpelliérains, on les a vus comme en sous-effectif, quittant dare-dare Jean-Monnet parce qu’appelés au Mas-de-Tesse, puis repartant assez vite sur un autre établissement, avant retour une heure plus tard. Même nerveux et cognant vraiment, on a pu observer de très près des signes de lassitude dans l’équipe bleue.
Face à eux, des jeunes filles ne sont pas les dernières à se jeter sur les boucliers. Il y a quand même des cervelles sous les casques, pressurées, et on a cru déceler dans des regards de pères de famille en uniforme, le constat usé que si sa propre fille n’est peut-être pas une de ces chipies anarchistes, elle ressemble néanmoins de près à celle qui lui hurle aux oreilles que tout le monde le déteste, que les jeunes dans la galère cette société on n’en veut pas, et que justice nulle part.
Effet de leurs stupides grandes manœuvres pour seulement entrouvrir un portail : un splendide feu de joie sur les voies du tram, dont furent victimes deux ou trois dizaines de conteneurs à ordures réquisitionnées jusque loin dans le quartier, dans une effervescence heureusement survoltée. Par l’intervention répressive, tout particulièrement. Au passage, les lycéens de Jean Monnet auront pu noter la hauteur de vue éducative d’une membre de leur administration leur annonçant avoir appelé les CRS « qui vont leur casser la figure et ce sera bien fait pour leur gueule », comme l’acuité d’action de leur proviseur, occupé à faire rouler un conteneur à ordures.
En bouquet final, devant Jules Guesde, comme dans tous les micros de toute la ligne 3 interrompue du tram, chacun aura pu prendre note de cette fake-news, d’une veulerie intellectuelle insigne, diffusée par la TAM à des milliers d’oreilles, comme quoi la perturbation est due « à un acte de vandalisme ». Non : à une révolte. Qu’on perçoit partout comme braise.
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :