Dix ans d’extrême droite à Montpellier : heurs et malheurs des fachos locaux
Depuis dix ans, Le Poing traite de l’actualité politique montpelliéraine : notre canard chronique notamment les agissements (et les pantalonnades) de l’extrême droite locale. Petit retour sur une décennie chargée.
Article initialement paru dans notre numéro d’anniversaire “spécial dix ans” en janvier 2024.
Montpellier connaît une importante expansion après la Seconde Guerre mondiale. Elle accueille alors à la fois des rapatriés d’Algérie (pieds noirs et harkis), et de nombreux travailleurs des ex-colonies, algériens et surtout marocains. D’autre part, sa population étudiante augmente considérablement. L’extrême droite locale est alors surtout constituée des soutiens de l’OAS nostalgiques de la colonisation ou de jeunes étudiants nationalistes : à la fin des années 60 le mouvement Occident s’y fait remarquer puis, plus tard et par intermittence, une section du GUD y est assez active jusqu’aux années 2000.
Les Roudier, clan emblématique des fachos du coin
Quelle est la situation autour de 2010 ? Le Front National doit fermer son local sous la pression populaire et déménage en périphérie. Quelques skinheads et métaleux nazis végètent, généralement attirés épisodiquement en centre-ville par des concerts de groupes « ambigus ». Les Jeunesses Identitaires, ancêtres de Génération identitaire, commettent quelques déprédations sur les campus. Ces Jeunesses sont déjà animées par les Roudier, riche famille gérant l’extrême droite locale depuis les années 60, que nous ne présentons plus à nos lecteurs. Mais la période n’est guère encourageante : le GUD a disparu localement, les autres groupes activistes comme l’Action française ne parviennent guère à s’implanter et le FN fait des scores microscopiques.
Le mouvement identitaire finit lui-même par exploser : le clan Roudier fomente une scission qui débouche en 2011 sur la fondation de la Ligue du Midi. Ces mêmes individus gèrent le Comité d’entraide aux prisonniers européens (CEPE), puis Entraide-solidarité, structures opaques aidant des activistes d’extrême droite emprisonnés – et objets d’accusations de détournements de fonds diverses… La Ligue tente de s’implanter sur Montpellier par le biais de campagnes d’affichages et de rassemblements. Mal lui en prend : ses agressions entraînent une violente riposte antifasciste rassemblant diverses composantes, ultras, militants et jeunes antiracistes, culminant lors d’une bagarre générale quartier Antigone. Ces faits rendent très compliquée la présence des militants identitaires en ville. A tel point que durant plusieurs années, la Ligue y est quasiment invisible.
Sous le mandat de François Hollande, l’émergence des « Manifs pour tous » donne un coup de fouet national aux différentes droites françaises. En Languedoc, les identitaires tentent de se greffer sur les cortèges et attaquent des militants anti-homophobie le 14 décembre 2013 dans le parking des halles Laissac – en toute impunité, la Ligue bénéficiant tout au long de son existence d’une surprenante complaisance policière. Les incidents de ce genre se multiplient avec la droitisation de la section locale du syndicat étudiant UNI et la réapparition des monarchistes de l’Action française. Finalement, ces forces tentent de surfer sur les mobilisations nationales du « jour de colère » puis du mouvement allemand Pegida pour organiser des rassemblements à Montpellier, là encore confrontés à des mobilisations antifascistes bien plus nombreuses.
Scissions et paires de claques
La gueule de bois des années suivantes est rude : la Ligue, qui chaperonne désormais la plupart des fascistes et nazillons locaux, préfère tenter de s’implanter en Cévennes ou en Camargue. Elle n’organise plus que de rares et discrets évènements dans une cave montpelliéraine du quartier Saint-Denis, et se recroqueville sur son hommage annuel à Jeanne d’Arc en mai. L’UNI est affaibli par le départ de son leader local (accusé d’agression sexuelle) puis par une scission de 2015 des éléments les plus droitiers qui prétendent former une branche de la Cocarde, vite avortée. Les rares métaleux nazis du centre-ville persécutés par les antifas multiplient en pure perte les labels de groupes mort-nés. Quant à la branche héraultaise du mouvement antisémite Égalité & Réconciliation, ses activités sont, comme celles des royalistes, d’une discrétion faisant douter de leur existence. En bref, la situation est difficile…
Autour de 2017, la Ligue connaît un sursaut d’activité. Ses militants envahissent et saccagent les locaux du Réseau d’Accueil et d’Insertion de l’Hérault (RAIH) le 30 juin, ce qui leur vaut (pour une fois) un embarrassant procès, ponctué de rassemblements publics de leurs soutiens (notamment la secte des Brigandes) comme de leurs adversaires. Les identitaires profitent de ce retour en centre-ville pour tenter de squatter un meeting en solidarité avec la Catalogne révoltée, dont ils se font sortir : leur compte-rendu pleurnichard est particulièrement drôle, accusant un « antifa immigré espagnol » d’avoir expulsé manu-militari l’un des leurs, pourtant « catalan de souche » ! Un événement majeur a lieu en 2018 lors du mouvement social contre la loi prévoyant la sélection à l’université : l’occupation d’un amphi de la faculté de droit entre deux assemblées générales est violemment réprimée par un commando cagoulé dont l’irruption le soir du 22 mars est facilitée par la présidence de l’université. Rassemblant un professeur d’extrême droite proche de la Ligue et plusieurs membres de celle-ci, la bande de nuisibles armés qui a expulsé et blessé plusieurs personnes fait les gros titres de l’actualité. La violence des faits déclenche en retour un puissant mouvement étudiant qui occupe l’université Paul Valéry jusqu’au printemps et rassemble plusieurs milliers de personnes en assemblée. Sacré succès.
De son côté, Génération identitaire bénéficie jusqu’à sa dissolution d’une relative hype, mais ne parvient pas à pérenniser sa branche locale. Elle se limite à des actions de communication, happenings ou lâchers de banderole, et à quelques rares « maraudes ». Ses membres observent une stricte discipline et ne se mêlent guerre aux autres mouvements ; contrairement aux autres, ils ne cherchent pas particulièrement la confrontation physique et donnent donc une image plus lisse que les groupes concurrents, ne facilitant pas vraiment leur recrutement.
Restructuration permanente
L’apparition au niveau national du mouvement néofasciste Bastion social en 2017 tente certains jeunes paumés proches de la Ligue, qui envisagent de s’autonomiser. Incapables de suivre le tempo, ceux-ci mettent trois ans pour former en 2020 une « Jeunesse Saint Roch » comptant péniblement une demi-douzaine de militants (principalement des étudiants), alors que le BS vient d’être dissous… Dès octobre leurs rares collages nocturnes leur valent quelques bosses et cocards à la suite de mauvaises rencontres fortuites. Cependant, l’apparition de groupes néofascistes locaux dans d’autres villes encourage la moindre bande à passer à l’acte. Les éléments les plus excités adoptent le label de « South face » pour revendiquer leurs actions telles que des attaques de personnes et de locaux : il s’agit d’un groupe large de membres de la Ligue et de néonazis divers de Nîmes, Avignon et Montpellier.
Si ces individus sont chassés des premiers rassemblements des Gilets Jaunes à l’hiver 2018-2019, et se contentent de squatter un rond-point périphérique, le lancement des manifestations contre le pass sanitaire durant la pandémie de COVID19 conduisent en 2021 à un retour de l’extrême droite dans les cortèges. Des affrontements récurrents ont lieu lorsque les membres de la « South face » tentent d’en expulser les révolutionnaires. Finalement, la contre-attaque s’organise : après une bagarre générale sur le boulevard Henri IV le 21 août, le rapport de force commence à s’inverser. L’extrême droite sentant le sol se dérober sous ses pieds se divise. La Ligue décide de prudemment esquiver la manifestation suivante… Ainsi, le 28 août, le groupe de néonazis liés au forum « Europe Ecologie Les Bruns » (sic) est rapidement repéré et confronté sur la bien nommée place des martyrs de la Résistance, et repart dans les camions des pompiers.
Le chapitre des manifestations anti-pass se conclut donc sur ce bilan en demi-teinte. S’ouvre ensuite la séquence des élections présidentielles de 2022. La candidature d’Eric Zemmour ranime un phénomène disparu depuis le retrait de Jean-Marie Le Pen : une campagne d’extrême droite agressive, ponctuée d’incidents. De nombreux jeunes fascinés par le personnage et ses idées trouvent là une première occasion de s’engager en politique. Localement, la campagne du « Z » agrège des petits-bourgeois réactionnaires, des royalistes de l’AF, de l’UNI, et bien sûr les jeunes néofascistes. Provocations et agressions se multiplient dans une ambiance délétère. Le 11 décembre 2021 puis le 14 avril 2022, cette bande attaque le local associatif du Barricade ; d’autres cibles politiques ou syndicales sont aussi visées. Ces dégradations entraînent en retour d’inévitables ripostes et, en mai 2022, la Ligue se plaint d’une attaque de son hommage annuel à Jeanne d’Arc…
Depuis lors, la situation à Montpellier semble avoir peu évolué : l’échec des différents groupes néofascistes « politiques » a conduit ceux toujours actifs à se limiter à une provocation par le biais de stickers ouvertement nazis et de diverses tentatives d’intimidation. Les ex-militants de « génération Z » ont grossi leurs rangs sans parvenir à impulser une réelle dynamique hors de cette capacité de nuisance. L’Action française continue son activité de formation et de commémorations en subissant le reflux national du mouvement. Les ex membres de Génération identitaire végètent sous le nom de « Jeunes d’Oc », un réchauffé local sans perspective. Quant à la Ligue vieillissante, elle continue d’être la structure la plus pérenne au prix d’une perte d’ambition. Son activité se limite pour l’instant à quelques rassemblements discrets. Elle apparaît plus que jamais pour ce qu’elle a toujours été : une PME familiale dont la principale vocation est, d’une part, de nuire aux mouvements contestataires et, d’autre part, de donner un exutoire aux néonazis les plus excités sous l’œil bienveillant des autorités.
Seb
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