Loin des micros officiels, discussions avec des manifestants anti-pass | 7ème entretien
Si vous avez déjà lu un de nos précédents entretiens vous pouvez sauter l’introduction, qui est la même, pour passer directement à la discussion.
Le Poing a décidé de produire une série de discussions avec certains de ces manifestants anti-pass. De ceux qu’ont entend pas, loin des micros officiels et des tribunes, et des questions trop brèves du micro-trottoir journalistique aboutissant à de la caricature. 7ème entretien.
Lors des manifestation montpelliéraines des samedis 28 août et 4 septembre, un des journalistes du Poing est allé à la rencontre des personnes qui ne prennent pas la parole, loin des micros officiels et des tribunes. En essayant de se tourner vers des profils variés, et pour des discussions relativement approfondies. Un peu en deçà de l’entretien, un peu au-delà du micro-trottoir. Evidemment le temps nous a été compté, nous n’avons pas pu aborder tous les sujets auxquels on aurait aimé toucher avec tout le monde. Et nous ne prétendons pas avoir eu accès à un panel rigoureusement représentatif des participants à cette manifestation. Nous vous proposerons dans les jours à venir une série de discussions, publiées d’une manière relativement brute pour ne pas faire violence à tout ce qui se comprend dans les non-dits, les changements de sujets etc…
Avant de vous présenter le premier, petite mise au point méthodologique. On peut se dire que le journalisme a trois objets : les faits, l’expression d’opinions ou l’analyse, et l’être humain.
Le Poing vous a déjà, avec d’autres médias indépendants, proposés des vérifications de faits. Dans le cas des manifs anti pass, souvent sur l’extrême-droite, sur certaines théories sorties de sources non fiables, ou encore sur la nature du leadership du mouvement montpelliérain. Et nous continuerons à le faire. Nous avons, comme d’autres, exprimé notre point de vue de manière raisonnée et documentée, via des éditos ou des analyses. Et nous continuerons à la faire.
Vérifiez toujours vos sources, recoupez les pour voir si vous tombez sur la même chose ailleurs, ne cédez pas aux rumeurs de couloirs, c’est crucial dans une période où les vautours de toutes sortes manipulent les justes colères !
Mais cette fois-ci notre démarche sera différente. Nous nous intéresserons très directement aux gens présents, en silence. Aussi comprenez que si tout n’est pas sourcé, ça ne relève pas de la négligence. Une conviction humaine, contrairement à un fait, ne se source pas : elle se constate, se discute, évolue parfois. Comprenez aussi que l’absence de commentaires ne relève pas d’une volonté de permettre à n’importe quelle thèse de se répandre. Il s’agit plutôt, avec nos maigres moyens, de saisir une époque.
Nous n’entretenons aucune illusions quant au fait que le mouvement anti-pass soit un mouvement entièrement ouvrier ou populaire. On y trouve de tout. Y compris des gens des classes populaires. Et dont certains souhaiteraient une révolution. Aussi nous citerons Rosa Luxembourg, une allemande qui a milité toute sa vie pour un communisme démocratique, radicalement différent de celui qui a pu être mis en œuvre en URSS ou ailleurs :
« Disons-le sans détours, les erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l’infaillibilité du meilleur « Comité central ».
Samedi 4 septembre, Montpellier. Après déjà quelques entretiens réalisés au cours de cette manif contre le pass sanitaire et celle de la semaine précédente -entretiens que vous pouvez lire sur notre site internet- je me laisse porter par le flot humain, le long du boulevard du Jeu de Paume. Sur un trottoir j’aperçois un visage connu. Celui d’un vieux compagnon de route du mouvement social montpelliérain, travailleur immigré installé depuis des lustres en France, de tous les combats. L’envie me prend de discuter avec lui de la situation et du mouvement en cours.
Le Poing : Pourquoi tu es présent ici ?
Lui : Je suis là contre le pass sanitaire. Par principe je ne suis pas contre la vaccination, mais je ne me donne aucun droit d’obliger les autres à être vaccinés. Moi même je suis vacciné. Je pense qu’il faut faire beaucoup de pédagogie pour expliquer aux gens qui refusent, pour des raisons qui leur appartiennent, pourquoi il faut se vacciner. Et surtout, je pense qu’on a pas assez de recul pour imposer quoi que ce soit aux gens, et encore moins un pass sanitaire. Parce qu’un pass sanitaire, c’est purement une mise au ban de la société d’une minorité très importante. C’est pas une question de quelques dizaines de personnes, c’est des millions de personnes qui ne veulent pas se vacciner. Donc c’est un problème démocratique, et qui est lié à toutes les lois sécuritaires, à toutes les attaques contre le monde ouvrier et contre une société qu’on veut transformer vers un libéralisme sauvage, qui n’a plus de limites. La seule fin qu’ils ont parmi les classes dirigeantes c’est de gagner le plus d’argent possible, même avec la vaccination, même avec le covid.
LP : Tu penses qu’il y des possibilités pour que ce mouvement débouche sur des prises de conscience plus larges ?
Lui : Ce mouvement, au 4 septembre, me paraît être un mouvement inédit en France, et même dans le monde entier. C’est pas les mouvements sociaux qu’on a connus jusqu’à maintenant, c’est un mouvement qui a une dimension existentielle. C’est à dire que les gens y parlent de leur existence, l’existence de leurs enfants, et ainsi de suite. Après, comment ça va évoluer, je ne sais pas. Si ça continue comme ça, on va au casse pipe, c’est à dire qu’on ne va rien gagner, on va juste manifester tous les samedis.
LP : Qu’est que tu veux dire par “si ça continue comme ça” ? Tu peux développer un peu ?
Lui : Si on continue tous les samedis à écouter les consignes du préfet, en allant d’un point A à un point B. Si on se contente du trajet du préfet, ça veut dire qu’on est pas libres de nos mouvements. Alors qu’un des slogans du mouvement c’est “liberté”. Est ce que ce raisonnement d’obéissance au préfet est aussi mis en place par une bande de voyous d’extrême-droite qui prend la tête des cortèges, autour de Derouch [NDLR : ancien leader autoproclamé des manifs anti-pass à Montpellier, avec un rapport très ambigu à des groupes clairement fascistes qui ont pu lui servir de garde rapprochée. Il a été mis sur la touche après les articles de la presse indépendance montpelliéraine, et l’intervention de militants antifascistes ]? C’est bien possible. Maintenant on peut aussi chercher d’autres formes d’actions : des sitting, des blocages etc… Et si on opte pour ce type d’actions, je pense qu’il y une dimension sociale qui va très vite rentrer en jeu. Tous les militants qui ne sont pas là pour ces raisons là, risquent de nous rejoindre, et là on peut transformer le mouvement.
LP : Quand on parle avec les gens dans ces manifs des problèmes avec l’extrême droite, du fait qu’il soit nécessaire de les virer, on tombe souvent sur des réponses de ce type : “si j’écoutes tous ceux qui accusent un tel ou un tel, c’est pas possible”, “avec les violences les gens ont peur et hésitent à venir” etc… Qu’est ce que tu répondrais à ce type d’objections ?
Lui : Je vais retourner la question dans un autre sens. Est ce qu’aujourd’hui, pour le même problème de pass sanitaire, on est prêts à manifester avec des djihadistes qui veulent mettre des bombes partout ? Parce que ces gens de l’extrême-droite, c’est l’équivalent chrétien ou en tout cas franco-français des djihadistes. Et bien je pense qu’on dirait non ! Si on mettais des djihadistes dehors de ces manifs, ça voudrait pas dire qu’on serait pour la division, mais bien plutôt pour l’unité sans l’extrême-droite et les fascistes. Si on a est des milliers et des milliers de personnes comme c’est le cas tous les samedis, c’est pas de virer quarante nazis qui va vraiment les rendre plus petites. Par contre il y a un élément important à mon avis : c’est qu’il y a une vrai dépolitisation de la société. Donc les gens confondent les fachos et les antifas, et ils ne comprennent plus rien à ce qu’il se passe. Eux, les fachos, ils ne comprennent qu’un seul langage, celui de la violence. Et on a vu ce que ça a donné dans l’histoire : des millions de juifs cramés, plus les tsiganes assassinés etc…Après je pense que de manière profonde la société française n’est pas une société qui a des valeurs fasciste.
LP : Qu’est ce que tu penses des appels au boycott des endroits qui demandent le pass sanitaire ?
Lui : J’espère être conséquent dans ce que je dis, et oui, je pense que ce type d’initiativesest un atout pour la mobilisation. Toutes les actions qui nous sortent de cette répétition de manifs tous les samedis amènent un plus.
LP : Est ce que tu penses qu’une partie de cette mobilisation, complexe et variée, se place dans la même dynamique que le mouvement des gilets jaunes, et plus largement que la montée en puissance des classes populaires qui exigent de plus en plus une justice sociale en France ces dernières années ?
Lui : Non, je ne crois pas. Les gens sont pris dans leur quotidien, et il y a des questions qui vont les mobiliser plus que d’autres. L’élément déterminant est plutôt existentiel dans cette mobilisation : aujourd’hui quand je vis dans cette société, qu’est que peut m’assurer l’Etat ? Est ce que l’Etat nous informe de ce qu’il se passe ? Non. Toutes les informations pendant la crise sanitaire se contredisaient sans cesse. Je suis un scientifique de formation, et je vous assure que quand j’écoutes des scientifiques ou des médecins parler, je ne sais plus à quel dieu me vouer. Parce qu’il y a toutes ces informations qui se contredisent, qui passent en même temps sur la même chaîne de télé. Alors imaginez quelqu’un qui n’a pas cette formation scientifique, qui n’a pas l’accès à ce savoir… Comment il va faire ? Et bien il va prier son dieu à lui, s’il est croyant, pour s’en sortir ! Tu es face à la mort avec cette épidémie, ou celle éventuellement de quelqu’un de ta famille. On a perdu confiance dans l’Etat, on a perdu confiance dans les journalistes, on a perdu la confiance dans les religions, et maintenant on a perdu confiance dans les scientifiques, et bien la réalité en temps de pandémie deviens juste horrible. C’est pour ça que je dis que c’est un problème existentiel. C’est la grande nouveauté de ce mouvement pour moi.
LP : Tu parlais de Derouch tout à l’heure, des leaders autoproclamés de cette mobilisation. Qu’est ce que tu penses que ça apporterait au mouvement d’être plus horizontal ?
Lui : Je pense que vue cette dimension existentielle du mouvement, il est très important qu’on ouvre des espaces pour qu’on puisse libérer la parole, pour que les gens puissent livrer ce qu’ils ont sur le cœur. Même les gens du peuple qui se tournent vers le complotisme. Je ne les condamne pas. Parce qu’il faut qu’ils trouvent une explication à leurs maux. Chacun de nous cherche un sens à sa vie. Et les gens qui n’ont pas accès à la “grande connaissance”, ils se rabattent sur le complotisme, sur des explications faciles du monde. Il faut qu’on donne la parole à ces gens dans des assemblées générales, dans des comités, dans des réunions toute la semaine, pour parler du vaccin, de la politique, de notre avenir et de celui de nos enfants. Sinon on est juste en train avec un mouvement vertical piloté par des petits chefs de dire au gouvernement : “Regardez on est en démocratie, ça ne peut pas se passer comme ça, il faut que vous appliquiez la démocratie.” Et à ce compte là le mouvement travaille plus pour le pouvoir que contre le pouvoir. C’est pour ça aussi que je pense qu’une des grandes victoires à ce jour à Montpellier dans ce mouvement, c’est celle qui a fait partir l’extrême-droite, celle qui a fait partir Derouch.
LP : Quelque chose que tu voudrais rajouter ?
Lui : Oui, je voudrais parler de la gauche, et surtout de l’absence de la gauche dans ce mouvement. Il y a quelques militants de gauche qui viennent individuellement, mais très très peu. Et je trouve que c’est très dommage. Déjà parce que pour un militant non-dogmatique ce mouvement est très intéressant. Et aussi parce que dans cette quête de sens dont je t’ai parlé tout à l’heure, les militants de gauche pourraient apporter beaucoup aux gens qui viennent pour manifester le samedi. Alors ils prennent prétexte de la présence de l’extrême-droite pour ne pas venir. Mais c’est des conneries. C’est le coup de la prophétie auto-réalisatrice : si on laisse l’extrême-droite s’y installer, elle prospère, et à la fin on pourra dire qu’on avait raison… Dans les villes, comme à Montpellier, où les gens sont intervenus pour chasser l’extrême-droite, elle n’est plus là, et tout se passe bien.
Julien Servent
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