Montpellier : quand l’argent public achète une presse locale aux ordres

Entre publicité déguisée, opacité administrative et proximité politique, la Ville et la Métropole de Montpellier versent des millions à une presse locale peu critique. Le tout au nom de l’« information de proximité ». Après six mois de bataille pour obtenir les documents comptables, Le Poing vous révèle comment votre argent finance les médias locaux
Le Maire de Montpellier, Michaël Delafosse, l’affirme haut et fort sur X : « la presse doit pouvoir travailler librement, c’est la garantie de nos libertés fondamentales, de nos valeurs démocratiques. […] La responsabilité du pouvoir c’est de garantir et préserver l’exercice de nos libertés. » Très bien. Alors pourquoi est-ce si dur d’obtenir la liste des aides financières versées par les collectivités à la presse ? Il nous aura fallu plus de six mois pour obtenir la transparence sur ces chiffres, pourtant censés être publics, puisque l’on parle de votre argent.
Un manque de transparence criant
Après des mails restés sans réponse au service presse de la Métropole, nous décidons, le 6 décembre 2024, de passer via Madada, une plateforme fondée par l’association Open Knowledge France qui permet de demander des documents publics via des formulaires pré-remplis. Le 7 janvier, en l’absence de réponse, nous saisissons la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui répond favorablement le 2 avril.
Muni de cet avis, nous envoyons deux mails, début avril, à la Métropole, en vain. C’est finalement la « menace » de la saisie du Tribunal administratif par courrier recommandé avec accusé de réception qui nous fera obtenir, le 17 avril, par la Métropole, un précieux tableau Excel, quoique dépourvu des dates de contractualisation et des numéros de dossier. Mais celui-ci n’indique que les aides attribuées par la Ville, et non la Métropole, et il nous faudra insister, par lettre recommandée, pour recevoir, le 6 mai, les documents complémentaires sous forme de… PDF, et non de tableau Excel comme on peut s’y attendre quand il s’agit de comptabilité. « La responsabilité du pouvoir c’est de garantir et préserver l’exercice de nos libertés », n’est-ce pas Michaël Delafosse ?
Des millions d’euros versés à la discrétion du pouvoir
La Ville de Montpellier assure au Poing qu’en « investissant dans la presse locale, la Ville de Montpellier contribue à soutenir les médias locaux pour l’information de proximité. » Officiellement, ces sommes financent de la publicité institutionnelle, du publireportage (publicité déguisée en article) ou des partenariats événementiels. Dans les faits, elles garantissent surtout une forte exposition aux politiques locales… dans une presse peu critique.
On a donc sorti les calculettes : Midi Libre, propriété de Jean-Michel Baylet (patron du groupe La Dépêche du Midi) et ex-ministre de François Hollande), capte à lui seul, du fait de ses audiences supérieures aux autres médias, 3 143 407 € (1 395 241 € de la Ville, 1 748 166 € de la Métropole de Montpellier) entre 2020 et 2024. La Gazette de Nîmes et de Montpellier suit avec un total de 1 383 856 € sur les deux collectivités. Puis vient 7Officiel – La Gazette Économique de l’Hérault (qui édite le Métropolitain) avec 913 832 €, là encore, en cumulant les dotations de la Ville et de la Métropole. D’autres titres bénéficient de versements plus modestes : 20 Minutes, Claap, La Marseillaise…

A noter que les montants évoqués ci-dessus ne prennent pas en compte les transactions passées entre nos collectivités locales et les groupes de presse dans le cadre du Code de la commande publique : on peut par exemple citer les achats de reportages de la Métropole de Montpellier à ViaOccitanie (aussi du groupe la Dépêche du Midi) à hauteur de 200 000 euros en mars dernier, puis de 181 000 euros en octobre, ou encore les 87 200 euros versés par la Ville à La Gazette pour un supplément sur le dispositif « Ville à hauteur d’enfant », toujours en mars dernier. On vous laisse faire les calculs…
Une proximité politique assumée
Jean-Michel Baylet, à la tête de l’empire du groupe La Dépêche du Midi (et dont la famille avait collaboré avec les nazis), assume le brouillage des genres entre le pouvoir et la presse, puisqu’il s’affiche dans ses propres colonnes, lors d’un meeting, aux côtés de Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre PS, et de Carole Delga, dont le Conseil régional d’Occitanie, qu’elle préside, avait attribué en 2016 le marché du journal officiel de la Région à… La Dépêche. Comme le clame Michaël Delafosse en 2024, s’adressant à Jean-Michel Baylet : « Vive Midi Libre, vive la démocratie, vive la République et vive la France ! » Cette consanguinité entre presse et pouvoir interroge d’autant plus que l’argent public vient soutenir des contenus rarement critiques envers les institutions.
La majorité fait sa propagande
Selon la Ville, « l’ensemble des espaces publicitaires permettent d’informer et de sensibiliser les citoyens sur des sujets d’intérêt général. » On a pourtant découvert que la Métropole a financé la promotion dans la presse de l’impopulaire Zone à faible émission (ZFE) (6 329,37 euros), de la brigade du logement social
(5 634 euros), dont il faut croire que les chiens de combat destinés à patrouiller en bas des tours sont « d’intérêt général », ou bien encore la « journée de la laïcité », qui a invité l’avocat Richard Malka, selon qui « l’islam sectaire est devenu l’islam », ou Henri Peña-Ruiz, qui considère qu’ « on a le droit d’être islamophobe » (47 115 euros entre 2020 et 2024, tous médias confondus). Et quand il s’agit de mettre en avant les travaux par la municipalité Delafosse, la direction de la communication met aussi la main au porte-feuille pour que cela apparaisse dans les médias : l’an dernier, la publicité autour de l’inauguration des fontaines de l’Esplanade Charles-De-Gaulle aura coûté en tout 10 970 euros au contribuable montpelliérain.
Notons aussi qu’en 2021, la Ville a financé à hauteur de 18 000 € un supplément de Midi Libre en l’honneur de l’ancien maire historique Georges Frêche, le mentor de Michaël Delafosse. Et on ne s’attarde même pas sur les 130 000 € versés aux médias locaux entre 2020 et 2024 pour promouvoir les festivités de Noël, les 300 000 euros servant à la promotion de la gratuité des transport ou encore les 165 990 euros de propagande autour des campagnes « Montpellier change avec vous »… de rencontres dans les quartiers…
Si la presse locale sert de relais à la communication officielle, mais alors pourquoi la Ville et la Métropole financent-elles déjà, à hauteur de 850 000 euros par an depuis le début du mandat de Delafosse, le magazine institutionnel Montpellier en Commun, bimestriel tiré à 460 000 exemplaires, et distribué dans les boîtes aux lettres ? (Alors qu’on peut le lire sur Internet…) [L’Agglorieuse, 16/04]. Un « pognon de dingue », à l’heure où la Métropole connaît des difficultés budgétaires…
La recette du canard laquais
« Avec tout le pognon qu’on leur donne, ils pourraient au moins bien faire le boulot », aurait lâché Kléber Mesquida, président socialiste du Département de l’Hérault en comité restreint, en parlant d’un titre de presse de la famille Baylet, selon nos confrères de Plurielle Info. Au moins, c’est clair. Jean-Philippe Vallespir, ancien directeur de publication du média Le Mouvement Info, fermé en 2021, connaît bien les relations malsaines entre la presse et le pouvoir. En témoigne l’épitaphe du pure player, disponible sur son site Internet : « Né pour être sincère, mort pour rester sincère. »
« On a crée ce média, car on pensait que la presse locale était étouffante et ne permettait pas de comprendre correctement les enjeux politiques locaux, car les articles restaient trop en surface. Notre modèle économique reposait sur la régularité des achats d’espaces publicitaires. Mais il y a un côté relationnel avec la publicité, et j’ai vite compris que si je n’étais pas consensuel, on ne nous en proposerait plus. Par exemple, on a interviewé Rémi Gaillard, et on a su que Michaël Delafosse était mécontent de cet entretien. On a aussi critiqué la politique de la Métropole concernant le chêne vert de Castelnau [un arbre remarquable, ndlr]. A un moment, on a vu les aides baisser, je n’ai plus pu payer les piges des journalistes. Là, on a compris que si on voulait avoir de la publicité, il fallait s’auto-censurer, et tomber malgré soi dans le publi-reportage. On aurait pu prendre de la commande, comme la promotion du dispositif municipal « ville à hauteur d’enfant », mais on a refusé par déontologie. Je pense que si on avait fait du journalisme de cour, Le Mouvement existerait encore », nous confie celui qui a crée Plurielle Info.
Une autre presse est possible
Bref, face à la crise qui touche les financements des médias, pour qui la publicité demeure un mal nécessaire afin de pouvoir payer les salaires, certains orientent leur ligne en fonction du pouvoir en place. Et tant qu’on aura pas résolu cette épineuse question financière qui garantit l’indépendance de la presse, on ira toujours vers le pire : En témoignent le partenariat que Midi Libre avait signé avec un salon du bien-être aux intervenants surveillés par les autorités de lutte contre les dérives sectaires, où les errements de La Gazette qui vend ses colonnes à Vinci pour promouvoir son projet routier à l’ouest de Montpellier.
Le Poing, qui ne touche pas un euro de la publicité ni de subventions des collectivités locales, ne compte pas s’enfermer dans des logiques d’inféodation aux politiques, mais on sait que la précarité est un autre frein aussi préjudiciable pour la qualité de l’information. Alors pour renforcer la presse indépendante en attendant une “sécurité sociale des médias” comme l’a formulé l’économiste communiste Bernard Friot, on a pas trente-six solutions : abonnez-vous et faites des dons !
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