Hérault : les centres commerciaux pleins à craquer, un rassemblement de soutien aux prisonniers verbalisé

Le Poing Publié le 5 janvier 2021 à 10:48
Feu d'artifice pour le passage à l'an 2021 devant la Maison d'Arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone

Pour le réveillon du Nouvel An, un rassemblement de soutien a été organisé devant la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone. Alors que les centres commerciaux sont pleins à craquer en cette période de fête, les participants ont été verbalisés pour s’être réunis à plus de six personnes !

Des solidarités verbalisées

C’est une tradition maintenant bien installée : pour clore l’année, à l’appel de l’AG de Montpellier contre les violences d’Etat et pour les libertés, on se rassemble devant la Maison d’Arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone. Casserolade, tirs de feux d’artifices : l’idée est de venir souhaiter une bonne année, d’apporter un peu de chaleur humaine aux détenus de la prison.

L’événement a sa petite histoire. Installé depuis des années maintenant, à destination de tous les incarcérés, il aura connu un net regain de popularité et une consonnance toute particulière avec le mouvement des gilets jaunes, qui a pu voir passer nombre de ses participants derrière les barreaux.

Ce soir du réveillon du Nouvel An 2021, c’est cette double exigence qui s’exprime devant la Maison d’Arrêt.

Continuer à apporter un soutien moral symbolique à tous les incarcérés du mouvement social d’une part. Parce que même si la prison de Villeneuve-lès-Maguelone n’en enferme plus -pour le moment-, des dizaines de participants aux mobilisations récentes y sont passés, tout récemment. Partout dans le pays, il reste encore de très nombreux militants, gilets jaunes, embastillés. Et le durcissement “sécuritaire” -qui se préoccupe principalement de la sécurité de l’ordre établi et de ceux qui en profitent- promet de nouvelles condamnations pour les protestataires.

D’autre part, exprimer une solidarité essentielle à tous les occupants de la prison, au vu des conditions de détention, régulièrement pointées du doigt par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. « Surpopulation », « vétusté des cellules (…) infestées de punaises de lit et de cafards », « matelas posé à même le sol, à 80 cm des toilettes », « espace personnel inférieur à 3 m² », absence d’intimité, recours abusif à l’isolement, mesure qualifiée de « torture blanche » Au vu aussi, surtout peut-être, de ce que l’enfermement, en soi et quelles que soient ses conditions, peut provoquer de souffrances humaines. Au vu enfin du rôle que joue la prison dans nos sociétés, au-delà des fantasmes, des politiques pénales aberrantes menées depuis des années par des politiciens en mal de voix pour se faire élire. Un rapport élaboré par l’université de Lausanne a établi que la population carcérale a augmenté d’un quart en France entre 2005 et 2015.  La politique du chiffre mise en place progressivement ces dernières décennies détruit des vies pour des enjeux principalement politiciens, et économiques grâce aux business du travail carcéral et des contrats de réinsertion sous-payés !

L’ensemble des participants seront verbalisés en fin de rassemblement, à la hauteur de 135 euros chacun, et sous le prétexte fallacieux d’un regroupement de plus de six personnes, avant l’horaire de couvre-feu, et alors que les centres commerciaux sont bondés en cette période de fêtes, sans interdictions !

Les prisonniers sont-ils forcément diaboliques ?

Au Poing, on aborde régulièrement la question carcérale. Et au vu des réactions sur les réseaux sociaux, il nous semble primordial de dissiper quelques mythes. Les personnes emprisonnées pour leur participation au mouvement social sont-elles toutes coupables de violences ? Sont-elles seulement toutes coupables de quelque chose ? Les autres prisonniers sont-ils majoritairement des violeurs, des assassins en puissance ?

A la rédaction, nous sommes en matière de mouvement social de fervents partisans de la diversité des stratégies de lutte, dans la solidarité et la bienveillance réciproques. Ceci étant dit, il nous faut tordre le cou à l’idée reçue suivante : les manifestants condamnés à de la prison le seraient pour le recours à une violence débridée. 

Durant ces dernières de lutte des gilets jaunes, les exemples inverses se sont multipliés à Montpellier, aux alentours, et dans l’ensemble du pays. Citons quelques exemples locaux.

 Le 8 janvier 2019, 46 personnes ont été arrêtées dans l’Hérault par 160 gendarmes dans le cadre d’une enquête sur l’incendie à la mi-décembre 2018 d’un local de Vinci au péage d’Agde-Bessan. Une vingtaine de personnes, accusées de « groupe en bande organisée en vue de commettre des destructions matérielles publiques et mise en danger de la vie d’autrui », sont mises en examen, et douze personnes placées en détention provisoire. Ces personnes ont été identifiées lors d’une réunion tenue au péage, et qui a rassemblé 200 personnes. Dans le cas des personnes incarcérées en attente de leur procès, certaines le sont sur la base d’un dossier d’accusation vide.  Une personne atterrit en prison pour avoir fait une quête pour les défunts du mouvement, perçue par la « justice » comme la trésorière de la fameuse association de malfaiteurs.

Septembre 2019 : un gilet jaune est interpellé pendant l’acte 46, sur Montpellier. L’individu est accusé de dégradations -l’incendie d’une poubelle- et de rébellion par deux agents de la BAC de la ville, qui l’accusent de s’être débattu et de les avoir frappés pendant l’arrestation. Il reconnait les dégradations, nie la rébellion, est condamné à six mois de prison avec mandat de dépôt. En appel au mois décembre, il est relaxé pour la rébellion, suite à une vidéo fournie par la LDH qui atteste que les policiers ont menti ! Il pourra sortir quelques semaines plus tard, en janvier. Aurait-il évité la prison sans ce mensonge ? Difficile à dire pour son avocat et le journaliste de Libération qui s’empare de l’affaire. Les faits sont là quoiqu’il en soit : un manifestant peut être chargé par les mensonges de policiers, et ce gilet jaune aura passé trois mois emprisonné pour… un feu de poubelle en plastique.

Mercredi 6 novembre 2019 : énième procès de gilet jaune. Le parquet lui reproche cette fois-ci la complète : dissimulation du visage, port d’engins incendiaires, violences, dégradations, rébellion et participation à un attroupement en vue de commettre des violences et des dégradations – le tout datant du 21 septembre, lors de l’acte 45 des gilets jaunes, à Montpellier. L’avocat réclame d’emblée la relaxe : il faut dire que l’engin incendiaire en question est… un simple fumigène. Résultat : un mois derrière les barreaux !

Début décembre 2019, un jeune homme de 25 ans passe devant le TGI de Montpellier après l’acte 56. Accusé de dégradations, pour la porte brisée du centre commercial Le Polygone, et de rébellion, pour s’être débattu pour pouvoir respirer lors de son interpellation, il nie tout sauf sa présence sur place. Et en tient pour preuve une vidéo du média la Gazette. Ironie du sort, c’est sur la même vidéo que repose l’accusation. Seulement voilà : elle n’est documentée que par des captures d’écran, le juge ne visionne même pas la vidéo entière. La version policière triomphe : 8 mois derrière les barreaux. L’administration pénitentiaire ne daignera même pas aménagé sa peine pour qu’il puisse assister aux derniers jours d’une mère malade…

Dans le même temps, un gilet jaune nîmois, Roland Veuillet, est placé le 12 décembre en détention provisoire pour port d’arme (un tournevis), outrage, entrave à la circulation, participation à un groupement interdit, intimidation, et dénonciation calomnieuse, du fait de sa plainte contre un policier. L’accusation d’intimidation vient du même policier contre lequel il a porté plainte. Libéré le 26 décembre avec une interdiction de manifester, il est de nouveau incarcéré le 31 mai après s’être mobilisé pour des sans-papiers, ce qui équivaut à une rupture de son contrôle judiciaire. Le 2 juillet il est condamné à un an de prison dont six mois ferme…

L’année 2020 s’ouvre sur une des manifestations les plus atroces de l’arbitraire au TGI de Montpellier. Le 3 janvier, un gilet jaune y passe en procès pour des accusations de destruction de biens par moyen dangereux – on parle ici de l’incendie d’une voiture de la police municipale pendant l’acte 43. L’accusé a été « retrouvé » sur la base d’une obscure dénonciation anonyme. En attendant, côté preuves matérielles, rien ne colle : aucun des équipements de protection servant de pièce à conviction -que tout le monde porte pour ne pas être blessé dans ces manifestations réprimées à grands coups d’armes mutilantes- ne correspond visuellement à ceux portés par l’incendiaire sur les images de la vidéo-surveillance.  Qu’importe, deux ans d’emprisonnement pour le gilet jaune. Il sera d’ailleurs relaxé en appel… après six mois d’enfermement !

Crescendo dans l’horreur : le 9 janvier, 21 peines de prison ferme tombent sur des gilets jaunes accusés d’avoir participé à l’incendie du péage de Narbonne-Sud au mois de décembre 2018.  Les preuves manquent souvent, et si tout le monde est relaxé pour le délit mineur d’entrave à la circulation, les peines les plus lourdes tomberont sans trop d’égard pour la présomption d’innocence, de l’avis de certains des avocats. « J’ai plaidé la relaxe, donc j’avais toujours l’espoir d’une absence totale de condamnation », explique Me Léa Chapelat, l’avocate du prévenu le plus lourdement condamné, soupçonné d’avoir déposé à l’aide d’un manitou une voiture enflammée sur la barrière de péage. « Le doute, l’absence de certitude sur la scène du manitou aurait dû lui profiter. On n’a même pas réussi à horodater cette scène. Le rapport d’instruction est lapidaire… » De nombreuses condamnations reposent sur des « dénonciations mutuelles obtenues en garde à vue, sous une pression énorme », dénonce un membre du collectif de soutien « Cool actif vous soutient ».

Il semblerait que certains riches magistrats aient conçus une haine puissante envers ce mouvement de contestation, qui entend en finir avec une société de privilèges pour les uns, de privations incessantes pour les autres.

Quant aux autres prisonniers… Les pauvres sont les premiers touchés : 47% des pères de détenus sont ouvriers, 20% des détenus déclarent ne pas avoir de logement stable à leur entrée en prison, et 13,6% n’ont aucune protection sociale. À Montpellier, deux SDF ont été condamnés à six mois de prison ferme pour avoir volé une part de pizza ; deux précaires, un homme et une femme enceinte, ont respectivement été condamnés à huit et quatre mois de prison ferme pour avoir volé une paire de chaussettes. Au premier décembre 2020, selon les chiffres du ministère de la Justice, 20 213 personnes sont emprisonnées en attente de leur jugement, soit 32,1% de la population carcérale. Des chiffres en augmentation relative par rapport au 1er janvier 2018. Parmi les détenus définitivement condamnés, 45% purgent une peine de moins d’un an. C’est-à-dire qu’elles sont enfermées pour des délits relativement mineurs. Les Maisons d’Arrêts, comme l’établissement de Villeneuve-lès-Maguelone, qui regroupent les personnes en attente de procès et les condamnés pour délits mineurs, sont de loin les établissements où la surpopulation est la plus marquée, avec les conditions de vie déplorables qui vont avec. Notons aussi que la situation s’est encore dégradée avec l’épidémie de coronavirus, avec une situation sanitaire déplorable.

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