Dix ans d’écologie en dix mots-clés | En quête d’une écologie populaire

Le Poing Publié le 14 avril 2024 à 10:39 (mis à jour le 14 avril 2024 à 11:26)
Des opposant.es au chantier du LIEN sur les lieux des travaux en 2023. Photo de Mathieu Le Coz/Hans Lucas

Article initialement paru dans notre numéro d’anniversaire “spécial dix ans” en janvier 2024.

Une chose est sûre, on ne parlait pas autant d’écologie il y a dix ans. La faute aux évènements climatiques extrêmes qui se répètent ou aux actions écologistes qui prolifèrent ? Sans doute un peu des deux. Pour vous parler de cette décennie forcément écologiste, on a choisi dix mots-clés pour l’illustrer. Par une rédactrice du Poing arrivée là avec son gilet-jaune et ses combats écolos.

Larzac

En 2010, Jean-Louis Borloo, alors Ministre de l’Écologie, accordait le droit de fracturer la roche sur le plateau du Larzac pour y chercher du gaz de schiste. Une fronde se levait bien au-delà du plateau. L’extraction du gaz de schiste par fracture hydraulique, pratiquée en Amérique du Nord est, en plus d’être très coûteuse, une absurdité écologique. Fin 2011, une loi interdit la recherche et l’exploitation du gaz de schiste. Fin du débat. Et outre les luttes historiques contre l’extension d’un camp militaire de 1971 à 1981 ou le démontage du McDo, le Larzac a vu ses champs à nouveau foulés le temps des Résistantes à l’été 2023 par des activistes de toute la France.

Radicalité

Face au “capitalisme vert”, la décennie passée a réaffirmé la nécessaire radicalité de la lutte, soit prendre le problème par la racine et donc nécessairement conjuguer écologie avec anticapitalisme et sortie du productivisme. L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage, comme dirait l’autre. Cette conviction a progressé ces dix dernières années. C’est justement de l’envie de porter des messages plus radicaux et d’écarter les politiciens « sans étiquette » qui trustaient les marches climat en appelant au vote EELV face caméra qu’est née localement une coalition intéressante. Sous la dénomination « Changeons le système, pas le climat », des individus divers, anarchistes, syndiqué.es, anti-nucléaires, gilets jaunes, militant.es écolos, ou de partis de gauche se sont rencontrés, ont mené ensemble des actions et ont appris à se faire confiance.

Changement climatique

46,0°C. C’est la température la plus chaude jamais enregistrée en France tous mois confondus. Et youpi, c’est chez nous dans l’Hérault, à Vérargues très précisément, que cette température a été enregistrée par Météo France le 28 juin 2019. D’ailleurs, selon les prévisions du GIEC, notre région n’aura sans doute bientôt plus rien à envier aux steppes andalouses.

Grands Projets (Inutiles)

Entrepôts, routes, méga-bassines, industries, centres commerciaux ou de loisirs… Après les spectaculaires inondations de 2014 à Montpellier, les « Verts » réclamaient l’arrêt des grands projets, avant de rentrer dans la majorité municipale. Mais réjouissons-nous : localement, quelques luttes furent victorieuses depuis la naissance de notre canard. Et ce sont bien les mobilisations sur le terrain qui ont payé : pas de centre commercial Oxylane à Saint-Clément-de-Rivière, ni d’entrepôt Amazon dans le Gard.

D’un autre côté, le rouleau goudronneur de la route du LIEN avance au nord de Montpellier, et RTE installe son méga-transformateur sur la regrettée ZAD de l’Amassada. Espérons ajouter dans dix ans quelques victoires de plus contre le Contournement Ouest de Montpellier, la LGV ou encore l’agrandissement de l’aéroport de Montpellier (pour ce dernier, on peut sans doute compter sur la montée des eaux pour le faire péricliter).

Nucléaire

Le 11 mars 2011, un accident nucléaire survient à Fukushima au Japon, déclenché à la suite d’un séisme et d’un tsunami. C’est la deuxième catastrophe nucléaire de l’histoire classée au niveau 7, le plus élevé, au même degré de gravité que Tchernobyl. A Montpellier, cet accident fait connaître au mouvement anti-nucléaire un essor, rejoint par de nouvelles et nouveaux activistes. Avec Arrêt du Nucléaire 34, iels n’auront de cesse de construire des ponts entre les collectifs pour le climat naissants, sur la position suivante : le nucléaire ne sauvera pas le climat. Jusqu’à décrocher avec ANV-COP 21 le portrait de Macron à la mairie d’Assas.

Écologie populaire

On met ce mot un peu comme une prophétie autoréalisatrice. Un mouvement d’écologie populaire n’existe pas à Montpellier. On ne doute pas que quelques collectifs informels déjà existants seraient prêts à se saisir de la question et pousser dans le bon sens les assos climat mais force est de constater que des ponts entre écologie, luttes sociales et quartiers populaires restent à construire.   On en parlait dans le numéro 38. L’écologie tendance, c’est plutôt celle contre les pauvres. Et à ce jeu-là Delafosse est roi, avec sa zone d’exclusion des véhicules les plus polluants (souvent ceux des plus précaires). Mais grâce à sa politique de la gratuité des transports (mais pas pour tout le monde), il passe pour un écolo… Reste plus qu’à le composter.

Répression

A l’orée de 2024 il est certain que les temps altermondialistes, celui des marches climat et des actions symboliques de désobéissance civile, est révolu. Si la répression avait déjà fait des morts dans le camp écolo (Rémi Fraisse est tué par la police le 26 octobre 2014), le furieux assaut de Sainte Soline en mars 2023 laissant Serge pour mort marquera de façon profonde celles et ceux ayant fait le voyage en Poitou. La dénomination « éco-terroriste », apparue quelques jours plus tard dans la bouche de Gérald Darmanin donne le ton : les militants écolos sont désormais vus comme des ennemis d’État, et même les actions symboliques de désobéissance civile finissent en garde à vue et au tribunal.

Greenwashing

Le greenwashing, ou écoblanchiment, est la capacité du capitalisme à repeindre de vert des procédés qui visent à continuer sur le même modèle. Quelques exemples. 2018 à Montpellier, lors d’une marche climat, un membre d’I-Boycott explique qu’il faut arrêter d’acheter certaines marques mais « il ne faut quand même pas faire couler l’entreprise, il faut accompagner le consom’acteur ». Selon Nicolas Bricas, socio-économiste, « voter avec son porte-monnaie, c’est donner plus de pouvoir aux riches, […] le gros de la marge de manœuvre est plutôt dans les conditions même de la production. ». 2019, l’ancien maire Philippe Saurel organise le Pacte de Milan, un sommet écolo mondial, tout en bétonnant Montpellier. 2023, le Département présente la route du LIEN comme « écolo » car elle serait construite en béton de coquilles d’huîtres.

Écoféminisme

En postulant que la domination des hommes et du patriarcat sur les ressources planétaires est comparable à celle exercée sur les femmes, l’écoféminisme permet de mettre en relation les différentes exploitations. « Ni la terre, ni les femmes ne sont des territoires de conquête », peut-on lire régulièrement sur les murs de la ville. Comme le souligne la philosophe Jeanne Burgart-Goutal, invitée d’ailleurs par Alternatiba Montpellier à son Camp Climat de 2020, le terme « écoféministe » est réducteur, car ce courant s’intéresse aussi aux autres oppressions et la « conception selon laquelle toutes les oppressions font système conduit à ne pas se contenter d’un combat écologiste, féministe ou antiraciste, mais à vouloir traiter toutes ces racines conjointement en attaquant le modèle même. »

Croyances

En 2013, Pierre Rabhi est invité à Montpellier pour une conférence à Sup’Agro. Cinq ans plus tard, une enquête du Monde Diplomatique démontre qu’il était proche de l’anthroposophie, une mouvance ésotérique épinglée par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes. Parmi les croyances de cette doctrine, on retrouve la biodynamie, qui n’utilise ni produits chimiques, ni intrants, ni OGM mais repose sur des pratiques aussi farfelues qu’enterrer des cornes de vaches remplies de bouse. « Ça peut faire de mal à personne » et c’est « plus bio que bio » ? Le problème c’est qu’il n’y a pas de biodynamie sans pensée anthroposophe. Pensée qui repose sur une classification raciale et la négation de la scientificité. Même souci donc avec la mise en avant de la NEF, « la banque éthique » qui berne sans doute ses client·es sincèrement écolos avec son « Conseil Stratégique » rempli de PDG d’entreprises ouvertement anthroposophes. ●

Khalie Guirado

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Delafosse interpellé sur son absence de réponses aux associations en faveur du logement et de l’accueil d'étrangers