L’année 2023 à Montpellier : notre rétrospective

Le Poing Publié le 3 janvier 2024 à 17:59
"Je vous entends mais je vous emmerde!" 4ème journée de mobilisation contre la réforme des retraites à Montpellier, le 11 Février 2023 (Mathieu Le Coz/Hans Lucas)

La rédaction du Poing vous souhaite ses meilleurs vœux pour 2024 ! Nous avons fouillé dans nos archives pour vous proposer un petit bilan de l’année écoulée dans le Clapas

Bon, qu’on se le dise, 2023 était quand même bien pourrie. Peut-être moins pire que 2020 et ses confinements, mais quand même : records de températures, massacres dans la bande de Gaza, gouvernement macroniste toujours plus en roue libre… Petit tour d’horizon (non-exhaustif) d’un an d’actu dans la 7ème ville de (F)rance.

Un mouvement massif contre les retraites

2023 a démarré en fanfare : la réforme des retraites, mesure phare du second quinquennat Macron, a largement mobilisé dans les rues de Montpellier. Premier round massif le 19 janvier dans les rues de la “surdouée”, avec 25 000 personnes à battre le pavé, à l’appel de l’intersyndicale, suivi de son lot d’actions (blocage du dépôt pétrolier de Frontignan, rassemblement devant les locaux du MEDEF, manifs sauvages avec feux de poubelles) et de mobilisations sectorielles, notamment chez les cheminots, dans l’éducation nationale ou chez les étudiants, notamment en fac de sciences, pourtant peu connue pour se mobiliser en période de mouvement social. Autre moment important de cette séquence : la visite de Macron à Ganges, fortement perturbée par des manifestants, aussitôt réprimés.

Manifestation du 7 février à Montpellier contre la réforme des retraites. (Mathieu Le Coz/Hans Lucas)

Une mobilisation quantitativement importante (jusqu’à 40 000 personnes le 7 ou le 22 mars), mais insuffisante pour faire plier Macron et son gouvernement. Comment l’expliquer ? Dans un article d’analyse publié dans notre numéro 36 (printemps 2023), une étudiante pointait du doigt la difficulté d’organiser et de coordonner des assemblées générales de luttes : « On a eu la sensation d’atteindre un plafond de verre assez vite, dans le nombre de secteurs représentés. La plupart de ces secteurs étaient déjà connectés avant la première AG : les cheminots venaient souvent sur le campus, les autres secteurs représentés se retrouvaient régulièrement sur des actions. Malgré une présence collective sur les piquets de grève, l’AG interpro n’a pas réussi à drainer d’autres salarié·e·s mobilisé·e·s sur la ville, comme les travailleur·ses de la TAM, de Nicollin, ou de l’énergie. Un faible investissement dans l’orga, accentué par la fonte des taux de grévistes au quotidien, a découragé. Le bilan n’est pas nul, à défaut d’une direction locale et démocratique pour le mouvement, les liens entre participant·e·s se sont resserrés, on a pu organiser une belle soirée de soutien à la grève le 6 avril. »

Cette désaffection des assemblées générales professionnelles peut aussi s’expliquer par la multiplication des contrats de travail courts et précaires, très exposés à la répression patronale, l’inflation importante pesant lourdement sur les petits salaires, etc. La grève dans le privé, notamment dans les PME, était faible. Une culture de la grève ne se construit pas en quelques semaines, et les projets de massification des arrêts de travail ne se situent pas sur la même temporalité que la lutte sur les retraites.

Les assemblées de luttes autonomes, comme celles initiées par le groupe Montpellier contre la vie chère, n’ont pas non plus rassemblées les masses, bien qu’elles aient conduits à mener plusieurs actions : barrages filtrants, tractages, blocages de sites jugés moteurs dans l’économie locale.

Assassinat de Nahel : la ville s’est embrasée

27 juin. Nahel, un jeune de Nanterre, se faisait tuer par un policier. Des émeutes ont eu lieu dans tout le pays en signe de protestation. A Montpellier, les quartiers Mosson-La Paillade ont rejoint la révolte dans la nuit du 29 au 30 juin. Barricades incendiées, bris de vitres du bureau de police Nord, tirs de feu d’artifice, pillage de l’Aldi Saint-Paul, caméras cassées… France 3 notait qu’une « personne âgée de 71 ans a également été admise au CHU de Montpellier […] elle aurait été victime d’un tir de LBD, un lanceur de balles de défense. »

Des affrontements ont également eu lieu à la Devèze, à Béziers (attaques de la mairie annexe, de la Mission locale et d’un distributeur automatique de billets), à Nîmes (poste de police de l’avenue Bir Hakeim visé) et à Narbonne (voitures incendiées).

Des scènes de jonctions entre militants du centre-ville et jeunes des quartiers populaires ont également été observées. Le 3 juillet, 19 personnes ont été déférées au parquet, avec des condamnations allant des travaux d’intérêts généraux à de la prison ferme.

En septembre, en réaction à ces violences policières, une manifestation réunissant un millier de personnes a été organisée à Montpellier.

Photo de la manifestation contre les violences policières organisée en septembre à Montpellier. (“Le Poing”)

Montpellier la mystique

Si Montpellier n’a pas été choisie pour devenir capitale européenne de la culture, serait-elle en train de devenir la capitale des thérapies new-age teintées d’ésotérisme ? En mai 2023, le salon du bien-être “Demain c’est aujourd’hui” accueillait au château de Flaugergues des entrepreneurs en bien-être (ainsi que des membres de la secte d’extrême-droite “Les Brigandes”). Le Poing avait sorti une enquête très détaillée à ce propos, et des sponsors s’étaient retirés de l’événement. Le salon avait d’ailleurs été pointé du doigt par l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi) pour ses risques de dérives sectaires. Le sommet aura finalement fait un beau flop, qui conduira l’organisatrice à lancer une cagnotte en ligne pour rembourser son manque à gagner et payer ses prestataires. Elle récupèrera seulement 200 euros sur les 66 000 demandés.

En septembre, des « mediums » et « guérisseuses » proposaient des « rituels de dégagement des magies noires » au plomb et autres massages, lithothérapie et « nettoyage énergétique du mauvais œil » à la journée des associations d’Antigone. En octobre, un autre salon du bien-être, “Mystic”, avait lieu au château de Flaugergues, sans médecins du CHU, mais avec son lot de « chamans », litothérapeutes et autres promoteurs de « thérapies holistiques ».

Toujours en octobre, la foire internationale de Montpellier, soutenue par la Ville, la Métropole et le Département, qui s’est tenue au parc des expositions, a encore fait la part belle aux « guérisseurs », « patriciens reiki », et « annulateurs de sortilèges »… Enfin, le salon “Bio&harmonies”, qui s’est tenu du 8 au 10 décembre dernier, également au parc des expos, mettait lui aussi en avant des « thérapies complémentaires » : « alchimie gnostique », « thérapeute dans le Quantique », « sono-thérapeute », « psychologie biodynamique », « soin spirituel »…

Enfin, en décembre, étaient organisées les journées internationales de l’Observatoire des pratiques professionnelles en santé intégrative (OPPSI), une association de promotion de cette médecine. Le congrès, finalement annulé après une saisie des autorités par l’Ordre des médecins, prévoyait d’inviter entre autres, un médecin antivax et surtout, un médecin se réclamant de la doctrine de l’anthroposophie, un courant ésotérique cité par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires comme pouvant présenter des risques pour la population.

Ce n’était pas la première fois que le Poing évoquait dans ses colonnes l’anthroposophie à Montpellier : en septembre dernier, nous révélions que la mairie et la Métropole avaient signé un prêt à une banque citée dans un rapport de la Miviludes dans son chapitre sur l’anthroposophie, et en octobre, que le site de la Ville faisait la promotion sur son “portail des assos” en ligne d’une association dont la mission est de faire connaître cette doctrine (supprimée après publication de notre article).

L’extrême-droite toujours en embuscade

Fidèle à sa ligne éditoriale fermement engagée contre les extrêmes-droites, Le Poing a encore une fois beaucoup documenté les faits et gestes des fachos locaux en 2023.

Nous avons notamment évoqué les menaces subies par des syndicalistes du bassin de Thau durant la réforme des retraites, la complaisance de l’ancien préfet Hugues Moutouh (remplacé depuis par François Xavier-Lauch, un proche de Macron et Darmanin) avec les manifestations d’extrême-droite, les péripéties administratives conduisant à l’annulation du spéctacle de l’antisémite Dieudonné (théoriquement de retour dans le Clapas à la fin du mois), ainsi que la présence de symbole fascistes sur les tenues de policiers montpelliérains.

Nous avons également révélé que Jordi Vives, ancien cadre du groupuscule raciste et violent La Ligue du Midi, était devenu assistant parlementaire de l’eurodéputé Gilbert Collard. A l’occasion du sommet “MEET” dont nous parlions plus haut, nous avons consacré deux articles à la secte d’extrême-droite les Brigandes : l’un sur leur business immobilier et sur leurs conférences ésotériques new-age, et l’autre sur leurs liens avec Moscou et des nationalistes russes.

Nous avons relaté une série de procès opposant justement un membre de la Ligue du Midi ou un soutien des brigandes à des membres de la Ligue des droits de l’Homme.

En septembre, nouvelle révélation : une ex-cadre du groupuscule dissous Génération Identitaire fonde une association de parents d’élèves à Aniane, petit village héraultais. Une information ensuite reprise par Libération en citant Le Poing.

Nous avons aussi beaucoup parlé de Béziers et de son sulfureux maire Robert Ménard : son refus de marier un couple car l’époux était sous un régime d’obligation de quitter le territoire français, son obstination à mettre des crèches de Noël dans sa mairie malgré les refus successifs du tribunal administratif, et de sa politique de fichage des propriétaires de chiens. De plus, nous avons discuté avec Daniel Kupferstein, réalisateur qui a filmé cette ville pendant sept ans pour en faire un documentaire sur la gestion municipale de Ménard.

Grève chez Onet : l’évènement social de la rentrée

“Un phare dans la nuit” selon certains militants. il faut dire que cette grève, menée essentiellement par des femmes, souvent issues de l’immigration, en temps partiel imposé et sans grande culture syndicale, a suscité beaucoup d’attention de par sa longévité : le 13 septembre, les salariés d’Onet, entreprise qui gère le nettoyage du CHU de Montpellier, se sont mis en grève pour demander pour demander des augmentations de salaires, une prime équivalente au treizième mois et pour marquer leur refus d’un dispositif de contrôle sur téléphone où elles devaient rendre compte de chaque prestation effectuée dans les divers endroits qu’elles nettoyaient.

Une grève historique par sa durée, qui aura eu le soutien de députés insoumis comme Rachel keke ou François Ruffin.

Au bout de 80 jours de grève, elles ont finalement obtenu, via des négociations avec la direction, une prime exceptionnelle de 650 euros et un allègement du dispositif de traçage. 80 jours de lutte qui n’auraient sans doute pas été possibles sans un comité de soutien, rassemblant largement divers pans du mouvement social montpelliérain, qui a réuni près de 20 000 euros en organisant divers évènements pour abonder la caisse de grève.

Les salariées d’Onet étaient en première ligne de la manifestation intersyndicale du 13 octobre à Montpellier. (Mathieu Le Coz/Hans Lucas)

Toujours aux côtés de celles et ceux qui luttent, Le Poing a également couvert le mouvement des coursiers en lutte contre les plateformes de livraisons pour plus de droits, le combat des intermittents du spectacle pour la défense de leur statut, celui des profs contre la réforme des lycées pro ou des étudiants contre la sélection à l’université, la grève historique des attachés parlementaires en novembre ou plus récemment celle des salariés de l’association Issue, qui militent pour le renouvellement des contrats dans un accueil de jour pour des personnes à la rue, mais encore la mobilisation écologiste contre les travaux du LIEN au nord de Montpellier, jugés illégaux.

Fait cocasse, quand Michaël Delafosse, maire “socialiste” de Montpellier, se vante de “grignoter de l’espace aux voitures” en mettant en place la gratuité des transports (opérationnelles depuis fin décembre), alors que son comparse lui aussi socialiste Kléber Mesquida, à la tête du Département, fait construire un échangeur autoroutier qui va augmenter le trafic. N’y aurait-il pas une dissonance cognitive dans les rangs du PS héraultais ?

Massacres à Gaza : réaction populaire

Une actu chasse l’autre. C’est celle, dramatique, provoquée par l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier, qui a agité les rues montpélliéraines en cette fin d’années. Malgré des tentatives d’interdictions par la préfecture (retoquées par le tribunal administratif), pas moins de dix manifestations réunissant parfois plusieurs milliers de personnes se sont enchainées tous les samedis dans le Clapas depuis octobre, avec la dernière en date, celle de la veille de Noël dans le quartier de la Paillade.

Image de la manifestation du 28 octobre en soutien à la Palestine sur la Place de la Comédie. (Mathieu Le Coz/Hans Lucas)

L’une d’elle a été marquée par une interpellation pour apologie du terrorisme, après qu’une personne ait qualifié l’attaque du 7 octobre comme un “battement d’aile de papillon” pour la résistance palestinienne. Des propos tenus en fin de manifestation alors que les organisateurs étaient déjà partis. L’homme sera jugé en février. Les organisateurs des manifestations avaient alors dénoncé une “instrumentalisation” politique et médiatique pour masquer le caractère légitime de la mobilisation.

Par ailleurs, les organisations mobilisées ont dénoncé le 11 décembre dernier devant la mairie de Montpellier la position de la Ville sur le conflit en cours et ont demandé (sans succès) à Michaël Delafosse, d’adopter en Conseil municipal une motion en faveur d’un cessez-le-feu.

Car depuis 1977, les élus locaux montpelliérains célèbrent, à l’initiative du centre culturel juif de Montpellier, la “journée de Jérusalem, capitale une et indivisible du peuple juif”. Une revendication alignée sur des intégristes israéliens et contraire au droit international, reprise par un certain Donald Trump en 2017. Et plus récemment, Michaël Delafosse a déclaré ;“il est mensonger de parler d’apartheid Israélien”.

Enfin, la fin de l’année a été marquée par la mobilisation contre la loi immigration de Darmanin. Des rassemblements et manifestations ont été organisées à Montpellier.

De notre côté, dix ans et un salarié

Pour la presse indépendante, 2023 a été une année riche : les camarades de la revue Frustration et du média Marseillais CQFD nous ont rendu visite à Montpellier, on s’est tous fédéré autour des états généraux de la presse indépendante le 30 novembre dernier à Paris pour porter des revendications, et la mobilisation devrait continuer en 2024.

Pour Le Poing, 2023 fut l’année des dix ans d’existence, une durée de vie inespérée pour un petit canard comme le notre (un numéro papier spécial anniversaire paraîtra le 12 janvier), mais aussi celle de l’embauche de son premier salarié à temps partiel. On a aussi commencé nos ateliers d’éducation aux médias et à l’information dans des établissements scolaires, et on compte bien poursuivre ! Cependant, la suite demeure précaire. Pour qu’on dure dix ans de plus (et c’est tout ce qu’on peut nous souhaiter en ce début d’année), une seule solution, vu qu’on refuse la pub et l’asservissement à un milliardaire : abonnez-vous à notre journal papier ou faites un don !

Sur ce, la rédaction du Poing vous souhaite une excellente année 2024, pleine de luttes et (on l’espère), de victoires !

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


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